• DIGITAL DEVIL SAGA - THAT'S CATCH 22 (Traduction française)

    Traduction par Reika commencée le 10/11/2021 et terminée le 07/04/2022.

    TRADUCTION DE LA NOUVELLE THAT'S CATCH 22

     

    Sources : Digital Devil Saga Avatar Tuner – The Master Guide I & II Nouvelle écrite par Satomi Tadashi.

    Traduction publiée sur le blog Digital Megami Personae :

    http://smtpersona.eklablog.com/actualites-news-c31099164

    Traduction : Reika

    Vérification : Reika

    Image de couverture : Bdouine

     

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    CHAPITRE 1

    Sa main gauche avait échoué. C’était inévitable de la part de quelqu’un qui réagissait violemment à la vue du sang, mais il restait lucide. Heat essayait de lâcher le scalpel dont il s’était emparé plus tôt. Cependant, ses doigts étaient rigides et refusaient de s’ouvrir. Le professeur Harris s’était écroulé sur le sol tel un amas de masse, la lame, forgée d’un alliage en molybdène-vanadium rigide était logée dans la poitrine de Harris jusqu’au niveau de la poigne. Il s’agissait d’un instrument destiné uniquement à des mains expertes, aisément capables de couper un doigt d’un mouvement léger.

    Peut-être était-ce parce qu’il avait serré la lame si fort dans son poing, ou bien à cause du sang frais déposé sur sa manche que le métal, habituellement froid au toucher, dégageait une faible chaleur. D’une certaine manière, c’était comme s’il absorbait la vie de son ancien professeur. Dégoûté et apeuré, Heat fermait très fort ses yeux.

    Malgré cela, des griffes allongées formaient son poing serré et ensanglanté de façon la plus primitive dans une satisfaction malsaine, car dans les mains de la bête était capturé le pouls fugace de sa proie.

    « Prête-moi ta force, petite sœur. »

    La prière de Heat était toujours la même. Depuis qu’il avait cessé de croire en Dieu, ses prières s’étaient désormais tournées exclusivement vers sa sœur.

    Il avait ainsi pu ouvrir ses doigts. Haletant, son attention se redirigeait vers le professeur Harris.

    Il regardait l’homme qu’il avait connu autrefois, le centre de son costume teinté d’un rouge vermillon. Cet air familier, si confiant du professeur. Cet homme charmant âgé de quarante-huit ans était maintenant aussi pâle que le ciel avant l’aube. Ses cheveux ébouriffés et son visage n’avaient plus rien du docteur et gentleman sophistiqué qu’il était auparavant. Petit à petit, il luttait au moindre souffle, vacillant de désespoir tout en bafouillant de son sang.

    Le professeur murmura alors dans un faible souffle : « Pourquoi m’as-tu fait ça ? »

    C’était tout ce que Heat avait pu entendre. Il pensait que le professeur parlait de lui, mais ce n’était pas le cas. Il devait certainement poser cette question à son assassin. La façon dont il le regardait était étrange.

    Sa pression artérielle et sa dyspnée avaient grandement chuté, ainsi, les membres du professeur étaient froids au toucher. Heat en avait conclu qu’il présentait visiblement les symptômes d’une tamponnade cardiaque. Peut-être était-ce l’aorte ou l’artère des poumons qui avaient été endommagées. Cela entraînait une accumulation de sang hémorragique dans le péricarde, limitant le cœur en gênant la circulation.

    Les blessures cardiaques, bien que très graves, provoquaient rarement la mort immédiate des victimes. Cependant, de nombreux ignorants sont amenés à trépasser à cause de cette tamponnade. En conséquence d’une perte de circulation sanguine, les organes vitaux ne pouvaient plus recevoir d’oxygène et une nécrose accélérée se développait. C’était la base de toute connaissance pour un étudiant visant une carrière dans le domaine médical.

    Heat reprit le couteau dans la panique. En prenant en compte l’état du professeur, il réalisa que toucher au scalpel l’amènerait plus rapidement aux portes de la mort à cause de la perte du sang qui ne ferait qu’accroître. Pendant un court et bref instant de triomphe, Heat était satisfait de son diagnostique. Cependant, connaître les symptômes et savoir les traiter étaient deux choses différentes. Heat se mit à genoux près du professeur dont le souffle menaçait de s’arrêter.

    Alors que la partie gauche du cerveau était à la limite de l’hystérie, le cortex droit quant à lui s’enivrait de sens stimulés par l’environnement. Les yeux de Heat allaient et venaient, lisaient en grande hâte les pages d’un épais ouvrage.

    Le Centre Boyer de Médecine Moléculaire dont le bureau était tenu par le professeur Harris était un ajout relativement nouveau au Sterling Hall de la Médecine de l’Université de Yale étant donné sa spécialisation dans le domaine de la recherche de pointe en génétique. Les meubles qui s’y trouvaient étaient à la fois modernes et fonctionnels.

    Les étagères, décorées des couleurs des cerises noires américaines, étaient bien fixées sur le mur, méticuleusement alignées les unes aux autres. Le bureau auquel le professeur s’asseyait était fabriqué avec le même matériau. Sur celui-ci se trouvait le tout dernier modèle d’ordinateur ainsi qu’une valise remplie de documents éparpillés. À travers la fenêtre, au-delà du bureau, il pouvait apercevoir les lumières étincelantes de la bibliothèque médicale Cushing Whitney. Même s’il n’était qu’à peine vingt-deux heures passé, certaines archives ne semblaient jamais trouver le sommeil.

    Retournant son regard vers les lieux, Heat remarqua que plusieurs instruments médicaux de marques récentes avaient été répandus au pied de l’estrade près de lui.

    Diverses lames et seringues se reflétaient dans la lumière les lampes fluorescentes, comme des cutters à articulation linéaire, des couteaux paracentèses, des burins micro fractures afin d’élever les membranes rétiniennes et bien d’autres encore. Ils étaient nécessaires dans le cadre d’un contrôle afin de les utiliser comme matériaux d’apprentissage pour ce semestre. Contrôle tenu par le professeur qui avait été nommé membre du comité budgétaire des étudiants. L’arme avec laquelle il avait été assassiné était probablement l’un de ces outils.

    Lançant un rapide coup d’œil sur les instruments au sol, Heat attrapa l’un d’eux. Saigner du péricarde pouvait être considéré comme mortel s’il excédait environ trois centimètres cube. Il était impossible de déterminer à quand remontait la blessure, bien que dans tous les cas, la situation relevait de la plus haute urgence. Même si le professeur était transporté dans une autre salle du centre médical dans laquelle il pouvait recevoir des soins appropriés, il ne survivrait pas au trajet jusqu’à la salle de chirurgie.

    Traiter une tamponnade aigue en pénétrant le thorax demandait une thoracotomie de toute urgence. Mais même s’il était déjà inscrit sur les listes d’admission dans les écoles médicales pour l’année prochaine, Heat n’était pas encore un étudiant en médecine. Son premier objectif était d’étudier dans le département génétique. De plus, afin d’intégrer une école de médecine, il fallait également connaître les bases sur les procédures chirurgicales. Aucune sorte d’expérience technologique n’était nécessaire. Et pourtant, il ne pouvait ignorer la mort imminente qui salissait ses mains.

    « Bon sang, pourquoi suis-je venu ici ? Je voulais encore trop en faire. » Se réprimandait-il à lui-même.

    Puis, il fit le tri des instruments de ses mains tremblantes. Il était impossible d’effectuer une chirurgie sans les instruments nécessaires. Si cela devait se produire, des mesures urgentes devaient être prises : la surface du cœur devait être perforée pour préparer une thoracotomie en perçant légèrement le cœur avec une aiguille, pomper le sang avec une seringue, et drainer l’excès de sang. Cela avait l’air simple, mais il s’agissait en réalité d’une procédure précise et une tâche particulièrement difficile. Différents facteurs pouvaient en revanche déterminer les circonstances de la procédure, comme la position du patient qui pouvait à son tour influencer le processus de désinfection depuis la clavicule jusqu’au nombril.

    De plus, l’anesthésie était effectuée directement au cœur comme une solution lidocaïne avec une aiguille de cathéter. La procédure était si rigoureuse que même les professionnels devaient signer un contrat de responsabilité avant l’opération. Mais le bureau du professeur n’était pas une salle d’opération. Pas la moindre solution antiseptique ne s’y trouvait ; ni même de l’anesthésie. Heat était bien assez chanceux d’avoir trouvé un kit de ponction à utiliser sous un plateau de lavage, cependant, rien ne changeait le fait qu’il n’était qu’un novice.

    Même s’il réussissait la procédure de drainage, la probabilité de réussite était égale aux chances de victoire à la loterie, et il n’y avait aucune garantie que la situation ne s’aggrave pas avec des conséquences comme l’arythmie ou des maladies infectieuses. Heat refusait ne serait-ce que d’envisager le fait que tout ceci violait les bases de la loi de la médecine.

    Retroussant les manches de son t-shirt gris simple sur lequel un « Y » était imprimé à l’effigie de l’insigne de l’université, Heat prit doucement l’aiguille de ponction dans sa bouche. Il tendait sa main tout en suppliant silencieusement sa sœur de lui venir en aide à nouveau avant d’exposer la poitrine du professeur. Le son reconnaissable d’un liquide se fit soudain entendre derrière lui, le faisant bondir de surprise.

    À l’entrée, un étudiant, probablement en cursus de doctorat, se tenait figé, le gobelet qu’il tenait tombé à terre. De ses yeux aussi ronds que les lunettes qu’il portait, son regard fixait Heat et le professeur à tour de rôle.

    De l’autre côté de l’entrée se trouvait un bureau médical privé. Des salles individuelles pour les étudiants en doctorat étaient connectées par des portes qui entouraient les couloirs. Lorsque Heat s’était rendu dans le hall de conférence pour la première fois, le secrétaire venait d’arriver également. Il n’avait vu personne d’autre aux alentours. Le secrétaire avait dû revenir juste après s’être acheté un café. Heat l’avait déduit de par l’odeur de la caféine qui se répandait jusque dans sa poitrine.

    L’étudiant fut le premier à agir. Faisant quelques pas près du bureau, il fit tomber son sac en papier et prit ses jambes à son cou en direction du couloir. Peu de temps après, le secrétaire, de retour, prit la fuite tout en criant à quelqu’un d’appeler une ambulance. Étant donné son état actuel, Heat ignorait s’il pouvait émettre le moindre son. Étirant son cou de son t-shirt afin d’érafler l’extérieur de sa gorge sèche, il éleva la voix à nouveau tandis que des bruits de baskets approchaient.

    « Son artère a été endommagée ! Appelez une ambulance ! » Cria Heat.

    Il ignorait si celle-ci était déjà en route. Heat savait qu’il pouvait laisser l’étudiant s’occuper du professeur, car il était un senior accompli spécialisé en médecine. Heat décida alors de prendre les choses en main, composa la ligne d’urgence avant que les autorités ne soient alertées. Observant l’étudiant appliquer les soins d’urgence, Heat réalisa qu’il aurait dû le faire lui-même, mais il ne pouvait plus rien y faire.

    Avec précaution, il retourna vers le professeur afin de retirer sa cravate noire et blanche tordue, tachée de son propre sang. Le professeur se mit alors à cracher faiblement. Il respirait bruyamment et se battait pour respirer. Il était impossible d’ignorer ses respirations enrouées et irrégulières.

    Après avoir déboutonné le dernier bouton de la chemise de la victime, Heat essuya le devant de son t-shirt. Il tamponna la marre de sang sur l’étendue de la blessure du professeur avec un mouchoir, puis prit péniblement une aiguille qui tomba au sol. Comme expliqué précédemment, il n’y avait rien dans la salle qui pouvait servir à chauffer ou stériliser l’instrument, rendant ainsi la procédure encore plus risquée. Néanmoins, Heat lécha minutieusement l’aiguille, essuyant le bout de celle-ci sur son t-shirt.

    Balayant ses cheveux blonds humides des yeux, Heat posa la main sur l’estomac du professeur. Traçant celui-ci avec son doigt, il sentait les courbures des côtes ainsi que le sternum jusqu’à ce que ses doigts croisent le xiphoïde. Alors que le son caractéristique de bruits de pas distants dans le couloir faisait interruption dans l’entrée, Heat injecta la seringue à un centimètre de profondeur.

     

    CHAPITRE 2

    Heat fixait avec répulsion l’inspecteur de police municipale de New Haven qui allait et venait en traînant activement les pieds devant lui. Les forces de police de Yale avaient fait appel à un soutien extérieur. La police du campus, responsable du maintien de la sécurité au sein de l’école, manquait d’équipement et de personnel médico-légal adaptés. Le corps du professeur avait déjà été emmené.

    Le chiffon mouillé qu’il tenait contre sa tempe gauche était trempé d’eau froide, pressé à un point où le chiffon menaçait d’être sec. Ses lèvres avaient cessé de saigner bien qu’elles avaient l’air quelque peu enflées. Au final, Heat s’était montré incapable d’effectuer des mesures de réanimation adaptées au professeur. D’autres étudiants avaient été appelés sur les lieux par le secrétaire qui l’avait d’abord découvert et attaqué en lui infligeant une légère commotion cérébrale.

    Une fois sur les lieux, Heat était soulagé de voir que ses prières étaient parvenues jusqu’à sa sœur au paradis. Cependant, il se rendit compte rapidement qu’il n’en était rien. Les étudiants s’apprêtaient à l’immobiliser en lui maintenant ses bras dans le dos et en l’expulsant violemment de la salle dans laquelle se trouvait le corps du professeur afin de l’appréhender. Perdre du temps n’était pas envisageable étant donné la condition du professeur : expulser l’excès de sang était une priorité, mais gérer en plus la présence des trois personnes qui cherchaient à l’arrêter, il était démuni avant de tomber dans un coma soudain sous les coups du secrétaire.

    Certains s’imaginaient peut-être des intellectuels dégingandés à la mention d’étudiants en médecine, mais l’intégration à des activités extrascolaires était une condition importante dans le cadre de l’admission aux examens d’entrées de Yale. À vrai dire, de nombreux étudiants avaient fait le choix de se concentrer sur les activités sportives en journée à l’université. Grâce à l’investissement personnel de Heat à la boxe, son abdomen était finement tonifié, et avait même maîtrisé la technique du hooker.

    Cela faisait la deuxième fois qu’il assistait à la mort de quelqu’un. Mais subir une agression était une première. Lui qui avait tout fait pour empêcher la perte d’une vie, ses efforts avaient été en vain.

    Mais Dieu se manifesta dans une des formes les plus inattendues. Heat se sentait ridiculisé par l’adversité présentée à lui, tourmenté par une douleur et un désespoir imminents.

    « Vous tenez le coup ? »

    Heat leva la tête et tourna le regard vers la personne qui s’adressait à lui. Un autre homme se tenait devant le bureau du secrétaire près duquel Heat était assis. Il paraissait dans sa cinquantaine doté de l’uniforme habituel de police du campus. Le premier officier, un jeune homme de couleur, s’était brièvement adressé à Heat quelques instants plus tôt. C’était lui qui lui avait donné la serviette. Il avait caressé la tempe de Heat avec précaution afin de constater sa blessure. Lorsque Heat s’éloigna afin de montrer sa commotion cérébrale, le jeune policer hocha la tête et laissa l’autre officier se présenter.

    « J’aimerais m’entretenir avec vous, O’Brien », grogna l’homme.

    L’odeur pestilentielle de nicotine s’ajoutait à son souffle, ce qui détourna l’intention de Heat sur son badge. L’inspecteur général adjoint l’avait appelé par son nom de famille. Il se demandait s’il avait été appelé alors qu’il dormait ou buvait une bière devant un programme, sa voix laissant transparaître un agacement certain. Heat jeta le chiffon sur le bureau et fit son récit des événements pour la troisième fois.

     « Je vous l’ai déjà dit. Il était déjà poignardé quand je suis entré. Ce n’est pas moi. »

    Il porta son attention vers les commérages qu’il percevait depuis le couloir. Cela faisait maintenant deux heures depuis l’incident, et l’affaire avait déjà fait le tour du campus en plus des policiers et officiers qui avaient été convoqués sur place. Les rumeurs se répandaient vite.

    Le nouveau semestre venait de commencer, et les examens de milieu de semestre qui avaient lieu d’ici quatre semaines approchaient à grand pas. Les étudiants n’avaient aucun scrupule à tricher, et ceux qui étaient pris d’un sentiment d’urgence commençaient à participer aux cours du soir afin de se préparer.

    Huit prestigieuses écoles étaient situées dans l’est des Etats-Unis qui étaient généralement connues sous le nom d’Ivy League. Elles étaient toutes des écoles d’élites destinées à apporter du soutien à ceux qui cherchaient à guider et porter la nation.

    On disait souvent qu’entrer dans une université américaine était chose plutôt aisée, mais il n’en était rien des universités d’état et les universités communautaires. On considérait en Amérique que le minimum requis dans la complétion de l’éducation était le troisième cycle universitaire. Pour les domaines spécialisés comme la médecine, le droit ou l’économie, tous les étudiants ne pouvaient poursuivre un cursus professionnel sans avoir un diplôme universitaire avec un parcours de quatre ans. Ainsi, les étudiants d’Ivy League entraient dans une compétition sans merci afin d’obtenir une place et augmenter leurs notes ne serait-ce que de quelques points. Les étudiants étaient donc vivement encouragés d’étudier en autonomie, mais aussi de participer à des activités extrascolaires pour d’enrichir leur dossier.

    Afin d’illustrer ces conditions impitoyables, lors d’un examen d’Ivy, si jamais vous aviez le malheur de faire tomber votre stylo, quelqu’un d’autre le lancera et vous deviendriez source de moquerie constante. Mais l’étudiant n’était pas votre seul adversaire, il y avait également les membres de sociétés déjà spécialisés qui revenaient étudier à l’université d’afin de perfectionner leurs capacités. L’imperfection n’avait pas sa place. En d’autres termes, peu étaient les étudiants à obtenir leur diplôme universitaire.

    « Prête-moi ta force, hein. » La voix de l’officier de police avait mis celle de Heat au silence. Son regard se tournait à nouveau vers les deux individus présents dans le couloir.

    « C’est ce que j’ai dit. » Heat se demandait pourquoi l’officier répétait ses propres paroles et voyait les autres policiers présents échanger des regards perplexes.

    « Vous avez fini de l’interroger ? »

    « Pas encore, nous n’en avons pas terminé avec lui. »

    La réponse du jeune policier laissait bien comprendre qu’il était le premier suspect. Quelques instants plus tôt, les policiers lui avaient demandé s’il avait entendu le professeur crier, s’il avait aperçu quelqu’un de suspect, ou toute autre personne qui aurait pu lever le doute sur sa culpabilité. Mais la cavalerie n’était pas encore arrivée. Et même s’il y avait un tueur ou un témoin, lancer son stylo en riant serait inutile, car tout serait fini pour lui. Pris au piège par cette pensée, Heat secouait la tête.

    « Dites-moi, que faisait un étudiant en médecine de dix-huit ans dans l’école à une heure pareille ? »

    La voix du policier adjoint était particulièrement insistante aux mots « dix-huit ans ». Heat comprit alors qu’il n’allait pas le ménager par rapport à son âge. Les étudiants poursuivaient leurs études dans une école de médecine, et comme ils n’étaient pas encore spécialisés dans un domaine, peu étaient ceux qui se trouvaient sur place, encore moins à une heure pareille.

    Heat souhaitait assister à une conférence sur les récents incidents. Il lui fournit la même réponse qu’à l’autre policier.

    « Il s’agit d’une conférence qui sera tenue par le Docteur Margot Cuvier de la World Health Organisation. J’ai lu les récentes informations sur le Syndrome Cuvier, et je voulais m’entretenir avec le professeur Harris afin de lui demander des documents sur le sujet.

    C’était un mensonge. Heat était venu pour une toute autre raison mais le professeur étant déjà mort, il était trop tard.

    « Vous étiez pourtant déjà venu le voir pour cette raison. »

    Heat comprit alors qu’il n’allait pas pouvoir rentrer chez lui ce soir. Il savait que cette situation allait avoir des conséquences, mais elle ne prenait pas une tournure à laquelle il s’attendait.

    « Et vous vous êtes disputés à ce moment-là. »

    Heat était dans une très mauvaise posture. Demain, il avait un cours de biologie moléculaire qu’il ne pouvait se permettre de manquer. Il n’avait assisté qu’à trois conférences aujourd’hui, mais après cela, il s’était porté volontaire en pédiatrie avant de terminer sa journée avec son job de livreur de pizza. Il n’avait pas encore écrit de rapport pour ses cours et se sentait déjà épuisé. Il se dit qu’il aurait dû rentrer plus tôt.

    « … En réalité, je voulais m’excuser. »

    Il était inutile d’enquêter pour savoir qu’il s’était en effet disputé avec le professeur. Mais il se tut, afin de ne pas être soupçonné d’un autre motif. Il préféra ne pas donner les véritables raisons de sa visite la semaine dernière.

    Avec précédents les témoignages ainsi que son propre motif, Heat pensait que si l’enquête se poursuivait, les doutes sur lui finiraient par se dissiper, mais il avait des raisons suffisantes d’être maintenu sous leur juridiction pendant encore un temps indéterminé. De plus, il s’attendait à des témoins. Car même s’il y avait un tueur en fuite, avec des témoins oculaires, il pouvait être disculpé en peu de temps. Cependant, Heat avait une image ternie aux yeux des policiers, et celle-ci ternissait déjà ses attentes.

    C’était à contre cœur que Heat avait fini par expliquer les raisons qui avaient provoqué son conflit avec le professeur tout en détaillant à nouveau les circonstances ainsi que ses agissements de la journée.

    Le Syndrome Cuvier était encore peu connu. Il avait été découvert par le docteur Margot Cuvier qui lui avait donné son nom. Les symptômes étaient les suivants : consolidation des cellules somatiques qui entrainaient de nombreuses complications. Les membres devenaient comme de la pierre et l’effet se répandait petit à petit dans tout le corps. Malgré les recherches, la maladie n’avait encore aucun remède.

    Lors de l’apparition d’une nouvelle souche virale, celle-ci provoquait une mutation génétique ainsi qu’une pollution de l’environnement provoquée par de nouveaux perturbateurs endocriniens similaires à des hormones. De nombreuses questions entouraient cette maladie ainsi que son origine qui restait inconnue. C’était pour cela que l’Organisation Mondiale de la Santé (WHO : World Health Organization) appelait toutes les universités et centres médicaux du monde entier à participer activement à la recherche d’un remède.

    Heat y portait un grand intérêt. Il avait souhaité devenir un chercheur en thérapie génétique depuis le moment où il avait lu le rapport selon lequel la première victime du Syndrome Cuvier avait été une petite fille de sept ans. La sœur de Heat avait succombé de sa maladie au même âge neuf ans auparavant.

    Il avait alors demandé au professeur Harris d’assister à ses cours qui étaient liés à ces nouveaux sujets. Ces cours réunissaient des étudiants en médecine, en biotechnique et aussi des apprentis. Par conséquent, il ne restait pas de place pour lui. Malgré son avidité, Heat avait perçu le refus du professeur comme de la discrimination à son égard.

    Heat avait pu s’inscrire à l’université un an plus tôt en sautant une classe. Il était désormais en deuxième année, mais prévoyait de terminer le cursus l’an prochain en trois ans au lieu de quatre. Il figurait parmi les meilleurs élèves de sa promotion. Même sans montrer son plein potentiel, il parvenait toujours à l’excellence. C’est pourquoi le professeur Harris pensait qu’il n’avait pas à recevoir de traitement de faveur. Ses mots semblaient suggérer bien plus, mais il ne poursuivit pas, et se contenta de murmurer :

    « Les étudiants Irlandais devraient rester à leurs places. »

    Encore aujourd’hui, les états du nord-est se montraient très conservateurs. Un blanc sur cinq était d’origine irlandaise, même si les britanniques étaient plus nombreux encore. Les États-Unis reposaient sur le principe de l’égalité et pourtant, les préjudices étaient profondément enracinés dans le pays.

    O’Brien était un nom typiquement Irlandais. Son père avait du sang anglais issu d’anciennes générations d’immigrés, mais Heat avait choisi de porter le nom de famille de sa mère car le nom de son père ne lui inspirait que du dégoût.

    Le lieu dans lequel il se trouvait était tenu par un secrétaire des affaires médicales. Il savait qu’il devait vite en finir. Les professeurs l’avaient pourtant prévenu qu’il serait difficile de faire entendre raison le professeur Harris. Heat se devait de rester fort afin de poursuivre ses études dans ce domaine. Afin de n’avoir aucun obstacle sur son passage, s’allier avec ses ennemis n’était pas une mauvaise idée. Il n’allait pas pouvoir assister à la conférence, mais cela ne faisait rien. D’ici deux ans, il espérait pouvoir toucher ces instruments médicaux, et entrer dans les bureaux de lui-même, avec mérite.

    « De quoi avez-vous parlé avec le professeur ce soir ? »

    « Puisque je vous l’ai déjà dit… ! »

    Il se souvint à quel point il souhait sauver le professeur, lorsqu’il avait inséré l’aiguille de quelques centimètres, avant d’être interrompu par le bruit des sirènes.

     

    CHAPITRE 3

    Un autre policier se présenta accompagné d’un jeune homme qu’on aurait pris pour un boy scout. Il devait faire dans les 1m82, mais restait plus petit que Heat. Il avait à peu près la même carrure que le policier, et pourtant, il paraissait plus grand qu’il ne l’était. Peut-être était-ce à cause de son blazer qui s’étirait lorsqu’il marchait.

    Il venait d’entrer sur une scène de crime, toutefois, il restait complètement impassible. Son visage, aux traits encore juvéniles, souriait. Il avait les cheveux noirs et un visage qui lui était familier. Ils ne suivaient pas de cours en commun, mais Heat l’avait déjà aperçu lors de conférences en psychologie et statistiques. Il n’était encore qu’en première année mais il avait quelque chose d’intriguant, dont on ne pouvait détourner le regard. Selon la rumeur, il avait deux ans de moins que Heat, ce qui lui en donnait seize. Mais son nom ne lui revenait pas en mémoire.

    « Il…Heu…S’agit du suspect que nous avons interpellé. »

    Alors que le policier lui faisait son rapport, le jeune homme se rapprochait de Heat. Sa perception changeait tandis qu’il s’approchait, laissant voir des yeux gris remplis de sympathie.

    « Sacrée scène, n’est-ce pas Heat ? »

    C’était la première fois qu’ils se parlaient, et non seulement il connaissait son nom, mais son attitude envers lui le surprenait d’autant plus. Il agissait comme s’ils étaient de vieux amis.

    « Ne t’en fais pas pour ça. Comment tu te sens ? »

    Malgré la colère, Heat se surprit à observer son visage. Il fut pris de court : il percevait en un regard toute la malice dans les yeux du jeune homme.

    « Je suppose que tu veux rentrer chez toi. Laisse-moi t’accompagner. »

    Il lisait Heat comme un livre ouvert, et il lui répondit avec un clin d’œil qui le figea sur place.

    « Tu es… un ami, pas vrai ? »

    « Je suis Sheffield. Serph Sheffield. Mais tu peux m’appeler Serph. Je suis avec la police. »

    Le policier adjoint n’avait pas corrigé le jeune homme qui se présentait devant lui. Celui-ci bomba le torse et proposa une poignée de main devant les policiers perplexes.

    Dans un souffle, le policier présenta également sa main droite. La main de Serph se pencha vers le bas tandis que celle de l’officier se posa sur la sienne. Il se retrouva tiré vers l’avant avec une force inattendue. C’était comme si un jeune businessman d’une micro entreprise venait de clore un contrat avec un autre businessman sur le point de prendre sa retraite. Leur poignée de main forçait celle du policier à s’abaisser.

    « Officier, Heat est mon ami. Je peux vous assurer qu’il n’est pas le coupable que vous recherchez. »

    « O-oh ? »

    « Oui, les enfants et moi pouvons en témoigner. Heat est volontaire en pédiatrie. Les enfants sont toujours très heureux de le voir. »

    Serph sous entendait que quelqu’un comme lui ne pouvait être capable de tuer. Le policier hocha la tête dans une approbation soudaine.

    Heat se demandait ce que Serph pouvait encore bien connaître à son sujet. Cette pensée lui donnait des sueurs froides.

    « On l’a assez fait mariner. »

    Serph le regarda d’un air accusateur, et le policier se rectifia.

    « Nous ne l’accusons pas, mais les circonstances sont ce qu’elles sont. Nous savons qu’un étudiant a fui la scène, il y a sûrement un malentendu. »

    « Oh, vraiment ? »

    Serph retourna son regard vers Heat qui approuva d’un signe de tête.

    « Il n’a rien fait. »

    L’attitude de Serph était désormais plus posée.

    « Veuillez m’excuser d’avoir douté de vos compétences. Mais vous conviendrez que vous l’aviez interrogé plus que suffisamment sur cette affaire. Cela semble d’ailleurs être un problème récurrent dans vos services. »

    « Ce garçon aurait aperçu le coupable. »

    La personne « suspecte » s’était désormais changée en « coupable ». Peut-être était-ce dû au fait que les policiers avaient fini par comprendre que cet échange tournait en leur défaveur, d’où leur changement de discours.

    L’ambiance déjà lourde était désormais pesante rien qu’avec la présence de Serph. Le policier adjoint restait silencieux, mais son visage le trahissait. La situation déjà bien pathétique ne pouvait pas être plus entachée pour Heat.

    « Je vous dirai tout ce que je sais. Mais… »

    Serph retourna son regard sur Heat, incapable de poursuivre. Ses mots lui avaient échappé, comme disparus de sa pensée. Quel était donc l’objectif de Serph dans tout cela ?

    « Tu te lèves tôt demain, non ? Les enfants doivent t’attendre. Tu devrais te reposer. »

    Ce n’était ni au programme de Heat ni celui des policiers. Il savait cependant qu’il avait une conférence à laquelle il devait absolument assister le lendemain. Pourtant, il y avait dans la voix et l’expression de Serph une attention toute particulière.

    Heat hocha à nouveau la tête en approbation. Il ne comprenait pas les véritables intentions de Serph, mais il sentait qu’il essayait de lui venir en aide. Le fait d’être secouru par quelqu’un qu’il connaissait à peine ne le rassurait pas, mais il avait également un rapport à rendre obligatoirement pour le lendemain.

    Il comprit enfin ce que les mots de Serph impliquaient. Malgré cela, il ne put s’empêcher de réfréner un souffle d’exaspération tout en prenant son visage entre ses mains.

    « Je suis persuadé qu’après une enquête approfondie, le mystère sera levé sur cette affaire. Maintenant que nous en avons terminé, pouvons-nous rentrer ? Les amis de Heat doivent certainement s’inquiéter, officier. »

    Heat n’avait pas d’amis proches. Depuis qu’il était entré à la fac, il avait déployé tous ses efforts pour venir à bout de ses études, tellement qu’il n’avait pas pris la peine de tisser de quelconques liens avec ses collègues. Au moins, il avait des connaissances de circonstances qu’il ne côtoyait que de loin.

    L’officier n’avait pas l’air convaincu pour autant. Il alla dans le couloir, fixa sa montre à son poignet, puis après avoir fait quelques pas, porta son attention sur l’officier noir.

    « Vous pouvez y aller. »

    Le jeune policier hocha la tête et demanda alors aux autres policiers se tenant devant l’entrée de rassembler plus d’effectifs.

    « O’Brien est toujours un témoin important dans cette enquête. Il lui sera donc interdit de quitter la ville. »

    « Je comprends, officier. »

    Le ton de sa voix semblait exagéré. Heat vit alors Serph lui tendre un pouce vers le haut dans son dos, à l’insu des policiers. Ils avaient remporté le combat, et Serph avait visiblement atteint son objectif. De son côté, Heat n’avait pas l’esprit tranquille, mais la dernière chose dont il avait besoin maintenant était de se retourner contre l’aide qui lui était proposée.

    Alors que le jeune policier les guidait vers la sortie, Heat se tourna vers Serph.

    « On parlera demain. »

    « Bonne nuit à toi, mon ami. »

    Serph lui tendit la main avec un sourire qui ne laissait aucune place à l’inquiétude. Heat lui rendit la poignée de main en souhaitant bonne nuit à son tour. Il était enfin libre de partir grâce à la présence d’esprit de son nouveau partenaire.

    Comme il le soupçonnait, des personnes s’étaient rassemblées dans le couloir. Sûrement des journalistes travaillant pour le journal universitaire.

    Heat fut attaqué par plusieurs flashs. Il reconnaissait des collègues peu scrupuleux parmi eux. Baigné par la lumière, Heat était envahi par une multitude de parfums, son regard balayant le groupe d’individus.

    Une vague de parfums commençait à assaillir la lumière autour de lui. Il sentait sa rétine brûler en percevant des couleurs blanches, noires et jaunes parmi les visages. Il s’était enfin éloigné pour ne plus voir que ses cheveux blonds demi-longs.

     

    CHAPITRE 4

    Heat baillait tout en mâchant ses pâtes. La dinde riche en sauce peinait à lui donner l’appétit. Il lâcha sa fourchette en repensant aux évènements survenus la veille.

    Le fracas du couvert au contact du sol alerta les autres étudiants assis à leurs tables, et tous se tournèrent vers Heat en s’échangeant des murmures non dissimulés. L’affaire avait été rapidement exposée sur le site du campus. Heat était considéré comme le premier témoin, mais les rumeurs et commérages allaient bon train et n’en finissaient pas d’attiser les curiosités. Son nom avait été prononcé un nombre incalculable de fois au cours du repas. N’échappant pas aux regards, il tourna le sien vers la fenêtre.

    L’établissement Berkeley se trouvait au centre d’un large site nommé Cross Campus. Harkness Hall, Calhoun School ainsi que le bâtiment Berkeley étaient disposés en forme de croix sur le terrain, avec la bibliothèque de Yale qui les dominait.

    Le vieux campus évoquait une cathédrale gothique, et une grande horloge était située sur la Tour Harkness. Les deux édifices témoignaient de deux statuts sociaux en compétition. Sur la pelouse, les étudiants profitaient du soleil en jouant au frisbee ou en mangeant. Un bien rare moment de tranquillité au milieu de la tumultueuse vie étudiante. Tous étaient de races, sexes, âges et origines différentes, et tous avaient le même sourire sur leurs visages. Ce n’était pas leur seul point commun. Tous portaient des lunettes de soleil. Non seulement elles étaient dotées de lentilles de couleurs, mais elles protégeaient surtout les rayons ultraviolets.

    « Slip, Slop, Slap & Wrap » était le slogan mis en avant par le gouvernement australien sur les pratiques d’activités physique des 3S depuis la fin du siècle dernier. Ils encourageaient les gens à porter de longues manches, d’appliquer des crèmes solaires ainsi que de porter des lunettes de soleil afin de lutter efficacement contre les rayons UV.

    Ce mouvement qui avait émergé dans un seul pays s’était désormais répandu dans le monde entier.

    Par ailleurs, l’Organisation Mondiale de la Santé ainsi que l’Institut National de la Santé (NTH : National Health Institute) avaient donné tout leur soutien dans cette entreprise selon le Livre Blanc des affaires environnementales. D’après une enquête récemment réalisée, les enfants avaient tendance à jouer en extérieur les jours ensoleillés. Également, une augmentation de la durée d’exposition aux rayons UV avait été observée chez les trois quart des adultes.

    Heat avait déjà reçu des plaintes des enfants en pédiatrie sur ces mêmes rayons.

    Les adultes n’étaient pas dupes, et étaient conscients de leur impact. Les femmes quant à elles utilisaient le maquillage contre le vieillissement face à cette exposition. Les rayons ultraviolets produisaient des enzymes qui oxydaient la peau, provoquant la destruction des cellules de l’ADN dans 80% des cas, contre seulement 20% des causes naturelles de vieillissement des cellules. Des plaisantins proclamaient qu’il s’agissait de l’œuvre de Dieu résidant dans le soleil.

    Heat se remémora le cours sur les particules moléculaires. Les grenouilles étaient en voie d’extinction. L’œuf d’une grenouille était composée de deux parties distinctes : noire et blanche. La partie noire était tournée vers le haut. Si la blanche venait à être exposée aux rayons UV, cela entrainerait la destruction de l’ADN, tuant l’embryon dans son œuf. La partie noire, censée protéger des rayons du soleil, faiblissait face à ces rayons, expliquant ainsi la disparition progressive de l’espèce.

    Il y avait environ deux cent cinquante millions d’années, l’atmosphère était composée d’oxygène qui produisait des cyanobactéries par le biais de photosynthèses qui formaient un écosystème complexe. L’atmosphère produisait l’ozone à partir de ces enzymes, et c’était grâce à cette couche d’ozone que les espèces étaient protégées des rayons UV et des rayons cosmiques.

    L’activité humaine avait déjà causé des dégâts considérables sur l’environnement. Ces vingt dernières années avaient vu des tentatives de régulation de chlorofluorocarbures et de gaz à effet de serre, tentatives qui n’avaient jamais abouti.

    Les États-Unis étaient également très réticents quant à l’application de ces mesures. Si cela continuait ainsi, les espèces seraient en voie de disparition et la vie humaine bouleversée à jamais. Cependant, l’être humain préférait songer au luxe d’aujourd’hui plutôt qu’aux conséquences à venir. La corde continuait de se serrer autour des cous de ceux qui persistaient dans leurs erreurs sans jamais y remédier.

    Ces étudiants aux lunettes de soleil reflétaient une facette de cette condition. Heat était évidemment assis seul à la table de la cafétéria. Bien qu’ils ne fussent qu’en octobre, les étudiants passaient de plus en plus de temps à l’intérieur, les rayons du soleil leur brûlaient la peau. L’Homme ne pouvait vivre sans lui. Qu’il pleuve ou qu’il vente, l’humeur des gens était affectée par le temps. On disait que le beau temps avait tendance à les rendre de bonne humeur. Quoi que l’on pouvait en penser, l’être humain n’était pas fait que de chair, mais aussi d’esprit.

    « Tu vas mourir si tu ne manges pas. »

    Alors que Heat vaquait à ses divagations, Serph se tenait près de sa table, un plateau dans ses mains. Il portait des lunettes de soleil à monture percée, son sourire laissait paraître des dents en parfaites santé et alignées.

    « La place est libre ? »

    « Comme tu peux le voir, personne n’est assis en face de moi. »

    Serph posa alors son plateau avant de prendre place.

    Avec son sandwich au pâté de poulet et sa chaudrée de palourdes de Manhattan, il avait conscience du regard de Heat sur lui. Il approcha alors son plateau sur ses pâtes.

    « Bon appétit, ô ange que je suis. »

    « Tu es de Davenport, pas vrai ? »

    Serph l’ignorait pendant que Heat remarqua qu’il portait un blouson à l’effigie de Davenport avec son emblème brodé sur sa cravate.

    « Je l’avais retiré avant d’entrer. Comme nous ne sommes pas de la même tribu, nous n’aurions pas eu l’air d’être de véritables amis si la police avait su que j’étais de Davenport. »

    Serph avait parlé de sa maison comme d’une « tribu ». Quatorze résidences universitaires se trouvaient à Yale. Les étudiants étaient attribués dans ces maisons avant de suivre des cours dans une école professionnelle ou en apprentissage. À l’exception des étudiants mariés ou résidant chez leurs parents, tous ou presque étaient assignés dans une résidence avec dortoir jusqu’à l’obtention de leur diplôme.

    Également, des évènements et activités sportives étaient tenus en dehors des cours afin de renforcer les liens parmi les membres, mais aussi la compétition au sein de ceux-ci. C’était certainement à cela que Serph faisait allusion en parlant de « tribu », car les connexions établies à l’université duraient pour le restant de leur vie.

    La société aux États-Unis était basée sur une forte connexion entre les gens. On encourageait vivement à établir le plus de connexions possible avec des personnes aux capacités égales ou supérieures. Cela incitait à tisser ces liens pendant les études, comme c’était le cas pour l’Ivy League, composée de membres issus de familles aisées. Les connaissances permettaient d’aboutir à des débouchés professionnels, ce qui était un atout primordial au sein de la vie universitaire.

    « Je suis plutôt satisfait du résultat. »

    « Comment sais-tu autant de choses à mon sujet ? »

    Il fixait Serph en train de retirer sa cravate. Heat pensa alors qu’il devait venir d’une bonne famille, de par son air et son attitude envers lui.

    « Je savais que tu étais de Berkeley. »

    Heat ne pouvait voir ses yeux, mais il ne semblait pas déceler une mauvaise intention derrière son sourire.

    Il était bien assigné à la résidence Berkeley, et y avait loué un appartement près du domaine universitaire, ainsi qu’un service Eli Buck à quatre mille dollars l’année. C’était la raison pour laquelle Heat tâchait de manger tous les jours à la cafétéria de son dortoir. Eli Buck était un service repas mis à disposition dans les diners et les cafétérias.

    « Il y a autre chose dont je voulais te parler. »

    La façon dont Serph percevait ses paroles déstabilisait Heat. Ce dernier avait travaillé toute la nuit à la complétion de son rapport.

    « Quel sort as-tu jeté là-bas ? »

    Il parlait de ce qu’il s’était produit la veille. Serph s’était présenté devant un représentant de la loi comme si de rien n’était.

    « J’ai eu le petit coup de pouce d’un gnome. »

    On appelait la maison Davenport par un autre nom : la maison des Gnomes, des esprits de la terre qui bénissaient par l’intelligence et la grâce.

    « Hé… »

    « Ne t’emporte pas pour si peu. Tu portes bien ton nom toi. »

    Serph souriait. Heat soupirait.

    « Arrête avec ça. Ce nom ne me va pas. »

    « Pourquoi ça ? »

    « Tu peux m’appeler cœur de pierre ou de glace. N’importe lequel irait. Je suis un type froid. »

    « C’est faux. »

    Face à une réponse si directe, Heat était pris d’un doute tel qu’il en perdit la parole.

    « C’est très clair pour moi. Tu es Heat. C’est pour cela que je t’ai sauvé. »

    « …Et toi, tu es Serph. »

    « C’est-à-dire ? »

    « Je voulais te rendre la pareille sur ton prénom. Mais tu n’as pas l’air de comprendre. »

    « Parce que nous portons tous deux un prénom peu commun. »

    Il se mit à rire de plus belle. Un rire qui sonnait faux. Heat comprit alors que Serph avait un certain talent, un talent inné dans l’art de s’impliquer dans les affaires des autres. Alors qu’il regardait son sourire insouciant, il se surprit à lui rendre un sourire à son tour.

    « Et cela s’écrit « Serph », pas « Surf ». Si on devait ajouter trois lettres, ça ferait Séraphin. « Séraphin de New Haven. » C’est pas mal, non ? »

    New Haven était la ville dans laquelle se trouvait Yale. Elle était située près de l’est de New York dans le Connecticut, face à Long Island du côté sud. C’était une ville à l’architecture très pittoresque, pourtant, les étudiants originaires de la Côte Est lui trouvaient bien peu d’attraits.

    « Arrête avec ces histoires de gnomes et d’anges et explique-moi clairement ce que tu as fait hier soir. »

    Heat se hâta de finir son repas. À ce rythme, il allait manquer son prochain cours magistral.

    « C’était un peu de Power Play. »

    C’était tout.

    Le Power Play était une technique qui consistait à avoir l’ascendant face à son adversaire dans une conversation. Cette pratique était le sujet de recherche actuel de l’école de Management de Yale. Quiconque avait le malheur de faire face à celle-ci s’y retrouvait automatiquement soumis.

    La gestion de la tenue vestimentaire représentait une étape supérieure de cette technique.

    Serph marchait d’un air calme et assuré tout en portant des vêtements qui semblaient trop grands pour lui. Il avait salué son adversaire le premier, marquant son initiative dans la conversation. Afin de faire pression sur l’autre, il avait entamé une poignée de main en tournant celle-ci vers le bas, de ce fait, l’adversaire devait serrer la main en face de lui en se penchant naturellement, marquant ainsi une forme de subordination. En répétant cette action, un complexe de supériorité s’installait dans son esprit.

    En soumettant le policier adjoint, Serph l’avait mis dans une position de doute et de culpabilité face à la situation. Il était ainsi parvenu à ses fins.

    « L’être humain a besoin de quatre minutes afin de se forger une première impression. Essayer de l’altérer n’est pas chose aisée. Mais heureusement, ce policier avait quelque chose à mon avantage. Tu as remarqué la fréquence à laquelle il regardait sa montre ? C’était juste le petit coup de pouce qu’il me fallait. »

    « Et maintenant, tu utilises cette technique sur moi ? »

    Serph, qui semblait fier de son explication, lui lança un regard bien étrange.

    « Tu es contrarié ? »

    « Évidemment que je le suis. Comment je peux faire confiance à un type qui traite les gens de cette façon ? »

    Sur ses mots, Heat se leva de sa chaise. Le bruit sourd de la table attira les regards alentours.

    « C’est vrai. »

    C’est lorsqu’il prit conscience des murmures incessants que Heat senti sa colère monter en lui. Il saisit son sac rempli de livres scolaires et de textes de référence avant de quitter les lieux. Serph, sur ses talons, avait atteint la pelouse devant la bibliothèque commémorative du campus, et avait mis ses lunettes de soleil.

    « Pardon de t’avoir irrité. »

    « Tu as menti aux flics. Demain, je ferai du volontariat auprès des gamins. S’ils apprennent que je n’y suis pas, ils vont me suspecter. »

    « Je n’ai pas menti, rétorqua Serph. Je n’ai fait que donner ton emploi du temps selon lequel tu devais te lever tôt et t’occuper des enfants. C’est la police et toi-même qui avez lié ces deux éléments.

    Heat se retourna alors avant de pointer Serph du doigt, mais resta sans mot. Quoi qu’il puisse dire, Serph avait raison, il n’avait techniquement pas menti. Reprenant sa marche, il cherchait un moyen de répliquer.

    « Je pense que notre amitié peut nous être profitable à l’avenir. »

    De nombreuses interrogations se bousculaient dans l’esprit de Heat, et il ne pouvait juger si son implication avec Serph lui serait bénéfique ou non.

    Il retira ses lunettes de soleil, s’approcha de lui d’un air ennuyé et coupable. Grâce à Serph, il allait pouvoir assister à son cours. Cette pensée le fit réaliser qu’il ne lui avait pas montré sa reconnaissance.

    « En tout cas, je te remercie. J’ai un cours maintenant. Je regrette, mais je dois y aller. »

    « Je suis désolé, mais tu n’as pas le choix. »

    Heat tourna le dos de Serph qui le suivait du regard avant d’apercevoir les policiers dont l’inspecteur général adjoint qui se trouvaient parmi les arbres alignés, jetant des regards dérobés.

     

    CHAPITRE 5

    « Donc… Je suis également suspecté d’espionnage ? »

    Heat posa la question à l’inspecteur qui le fixait du regard de ses deux yeux perçants. Plus que surpris, Heat était complètement abasourdi par ces accusations.

    « Vous êtes lié à cette affaire de par vos relations avec le professeur Harris, ce qui fait de vous un suspect potentiel au sein de l’enquête. Bien sûr, c’est votre cas à vous aussi. » Intervint l’enquêteur du F.B.I., Allen Harvey qu’il avait déjà croisé auparavant. Sa bouche se tordait en un rictus qui contrastait avec son regard qui ne dégageait rien de bon.

    Heat avait longuement abordé le concept de la première impression sur autrui avec Serph à la cafétéria, mais il n’avait aucun mal à s’imaginer que cet homme ne donnait absolument pas une bonne impression, bien au contraire. Heat savait désormais comment relever certains détails. Harvey le fixait du regard, comme le ferait un chien de chasse ou un oiseau de proie.

    « Oh-oh ». Son côté insouciant semblait irriter l’inspecteur. Il se tenait exactement là où était Serph la veille, devant le bureau du professeur. L’inspecteur général adjoint ainsi que le policier de couleur lui avaient tous deux demandé de se rendre dans le bureau où le professeur Harris avait été tué. En chemin, il avait questionné la nouvelle implication du F.B.I.

    Le F.B.I, (« Federal Bureau of Investigation »), était un service fédéral de police et de renseignement américain. Ils étaient chargés de mener des affaires qui s’étendaient sur deux ou plusieurs états dans le cadre d’activités terroristes, de missions d’espionnage ou d’importants groupes criminels, de corruption de membres fédéraux, ou encore de tout crime allant à l’encontre de la loi fédérale. Le F.B.I. était fortement enraciné aux États-Unis. Chaque gouvernement promulguait ses forces de police ainsi que la loi en autonomie sous cette loi fédérale. Pour ainsi dire, tous ces états formaient un pays entier, et c’était au sein de ces mêmes états que les criminels étaient jugés.

    L’implication du F.B.I signifiait que l’affaire entourant l’assassinat du professeur Harris devenait suffisamment importante et allait au-delà de la loi martiale.

    Mais de là à être suspecté d’espionnage…

    « L’espionnage est un crime très grave jeune homme. On peut dire que vous avez du cran. »

    Heat regardait Serph qui affichait un regard amusé. Que pouvait-il bien trouver de divertissant dans une telle situation ? Lui aussi était considéré comme suspect depuis le début de l’affaire, mais il n’avait pas l’air de s’en soucier pour le moins du monde. Tandis que Heat cherchait ses mots, Serph posa une question à l’inspecteur.

    « C’est une enquête spéciale. En quoi Heat serait-il lié à une affaire d’espionnage ? »

    « Nous avons également des doutes vous concernant ! » Avait corrigé l’agent Harvey dans la panique. « Nous sommes chargés de la sécurité publique, et ceci est classé secret défense. »

    « En quoi cela est-il le cas ? »

    « Cherchez la définition du terme « secret défense » dans le dictionnaire, rétorqua-t-il. D’ailleurs, c’est moi qui pose les questions ici, pas vous. »

    « Bien sûr. » Si Serph avait pu être impacté par la réponse hautaine de l’inspecteur, il n’en était rien. Comme à l’accoutumée, Serph laissait transparaître un certain amusement face à la situation.

    Pendant l’échange avec Heat et Serph, l’agent Harvey remarqua la présence de l’inspecteur général adjoint ainsi que du policier de couleur se tenant devant la porte. Comprenant le sens de ce regard insistant, l’inspecteur adjoint fronça les sourcils.

    « C’est aussi notre affaire. Nous enquêtons également sur le meurtre du professeur, merci de bien nous laisser coopérer. »

    L’apparition soudaine de l’agent fédéral semblait avoir provoqué en Serph un désir ardent de contribuer à l’effort. Le F.B.I n’a normalement pas de pouvoir sur les autorités régionales. Malgré les rivalités au sein des départements d’enquête, les actions menées finissaient par prendre une forme collaborative. Ou alors refusaient-ils simplement de collaborer avec des jeunes. Harvey fixait à nouveau Heat tout en se pinçant les lèvres.

    « Le professeur Harris détenait des données confidentielles liées à un projet au moment de son assassinat. Cependant, le disque dur qui archivait ces informations a disparu après sa mort, et nous recherchons ce disque. Auriez-vous une idée d’où il pourrait se trouver ? »

    « Non. »

    La réponse de Heat était immédiate. Cela ne changeait pas le fait qu’il était lié au professeur, mais il n’avait jamais entendu parler de l’existence de ce disque.

    « Et vous ? »

    Après une courte pause, comme si Serph était en pleine divagation, il répondit « Non », ce qui ne lui ressemblait guère.

    « Le secrétaire des affaires médicales nous a confirmé que le disque se trouvait sur ce bureau avant d’être rentré chez lui. Ce qui veut donc dire qu’aucun étudiant n’est entré dans cette pièce jusqu’à ce que le professeur soit assassiné. Si son témoignage est faux, il est possible que celui qui détient le disque soit le coupable. En d’autres termes, O’Brien, votre témoin que vous avez mentionné plus tôt est la personne la plus susceptible d’être le principal suspect. Y voyez-vous une objection ? »

    « Je n’en vois pas. » Serph avait aussitôt répondu.

    « Bien, parlez-moi donc de ce suspect que vous avez aperçu. »

    C’était aussi un sujet de grande importance pour Heat, car jusqu’à présent, Serph avait échappé à toute forme d’interrogatoire.

    « Avant cela, répondit-il, je souhaiterais dissiper un malentendu. Je ne reconnais pas avoir vu le coupable. »

    « Pardon ?! »

    Heat fut pris de court « N’as-tu pas certifié hier que je n’étais pas le coupable ? »

    « Si, et je le maintiens, car nous sommes amis. J’ai simplement affirmé avoir vu un homme étrange s’éloigner du bâtiment peu de temps après l’incident. Mais je pense qu’il ne s’agissait que d’un simple étudiant. »

    « Y a-t-il un témoignage qui corrobore, inspecteur général adjoint ? », demanda Harvey.

    « Eh bien… Nous sommes en plein interrogatoire, nous n’avons pas eu le temps, depuis hier, beaucoup de choses se sont produites, et… »

     L’inspecteur répondit à Harvey comme s’il soulignait l’évidence, mais son ton trahissait celui de la veille. Son regard était instable. Heat reconnut alors ce regard, le même qu’il portait certainement cette fois-là lorsqu’on lui avait donné l’autorisation de rentrer chez lui.

    « Lorsque je l’ai aperçu, cet homme sortait de ce bâtiment et marchait sur Cheddar Street vers York Street. J’ai vu cet homme se diriger dans cette direction depuis le second étage où je me trouvais. Je marchais dans le couloir près de la bibliothèque médicale. À cette distance, je n’ai pas pu voir son visage. Mais de dos, je dirais qu’il avait l’air assez jeune. Cela s’est produit comme je vous l’ai dit hier. »

    « Vous avez donc pensé que ce n’était qu’un simple joggeur nocturne ou quelqu’un qui aurait pris son bus en retard le soir. Mais pourquoi avoir déclaré qu’il était suspect dans ce cas ? »

    La piste du joggeur était évidemment exagérée, mais l’enquêteur Harvey continuait d’écouter sans faire de remarque d’aucune sorte sur l’ambigüité du témoignage de Serph, qui avait des suspicions vis-à-vis de cet homme puisqu’il l’avait aperçu après l’incident. En d’autres termes, son témoignage reposait sur une impression. S’ils partaient du principe que les deux s’étaient croisés peu après l’incident, il était très peu probable que l’homme en question soit connecté à l’affaire.

    Perdant patience, l’enquêteur interrogea : « Avait-il quelque chose de particulier ? Comme du sang sur les mains, ou un disque sur lui ? »

    « Il faisait sombre, comment aurais-je pu voir s’il avait du sang sur les mains depuis le deuxième étage, monsieur l’enquêteur ? »

    Serph ajouta que l’homme n’avait rien dans ses mains, mais qu’il portait un sac à dos qui aurait pu éventuellement contenir le disque. Pour autant, il ne s’agissait que d’un étudiant.

    « Les soupçons sont parfois l’ennemi de la raison. Que cela vous serve de leçon. »

    Heat écoutait avec un certain détachement les propos désagréables de l’enquêteur Harvey et sentit sa colère reprendre le dessus. Peut-être Serph pensait-il que son témoignage aurait plus de poids s’il affichait une certaine confiance en lui. Cela ne le rendait pas différent des autres étudiants qui considéraient Heat comme un assassin, car sa seule présence sur place jouait contre lui.

    « Rétrospectivement… », Ajouta Serph, si cet homme était vraiment le coupable, il aurait fui dans une direction opposée. S’il comptait agir de façon répréhensible au sein d’un établissement scolaire, il aurait pris en considération les personnes présentes sur place. Si l’on devait tracer son itinéraire, il aurait dû traverser le centre du département médical afin de se rendre jusqu’à York Street. »

    Cela impliquait de grands risques d’être vu. En partant du principe qu’il se serait rendu vers l’est de Congress Avenue sans aller à Cheddar Street, il aurait pu prendre une voiture au parking avant de sortir directement par le pont de la grande route. Mais il n’aurait jamais pu quitter les lieux à temps. Heat réalisa en cet instant tout le malheur que Serph avait fait abattre sur lui depuis le début de cette affaire.

    « Donc l’homme que vous avez aperçu n’est pas lié à cette affaire. En d’autres termes, vous n’êtes pas lié au meurtre ni à ce disque, c’est bien ce que vous insinuez ? Quel ami vous faites », Harvey ajouta-t-il en s’adressant à Heat.

    À ces mots, Serph se contenta de sourire avant d’aller à l’encontre des attentes de Heat : « Peu importe. Ce que Heat et moi voulons dire, c’est que nous allons tous deux essayer de lever le voile sur cette affaire. »

     

    CHAPITRE 6

    Selon le rapport du légiste, la cause du décès du professeur Harris était bien une tamponnade. L’arme du crime était un scalpel utilisé dans un cadre chirurgical. Naturellement, les scalpels en question avaient fait l’objet d’une demande d’analyse. Autre élément notable était la partie arrière du crâne du professeur qui présentait un bleu superficiel, ainsi que la partie inférieure de sa jambe droite qui semblait avoir subi une hémorragie. L’inspecteur général adjoint avait ainsi conclu qu’avant d’être poignardé, le professeur Harris s’était cogné sur son bureau, la surface de la table correspondant à l’emplacement de la blessure.

    « Nous pensons que compte tenu de la scène ainsi que des blessures infligées, le professeur s’est battu avec son agresseur avant de se faire poignarder. » Il s’arrêta avant d’ajouter : « Les instruments médicaux sont probablement tombés de la table à ce moment-là. »

    « C’est tout ? » commenta Harvey.

    « C’est tout ce que nous avons pour l’instant. » Répondit Serph.

    L’inspecteur adjoint leva un sourcil. Avec le témoignage de Serph la veille, son expression montrait une certaine méfiance. En revanche, une sorte d’affinité s’était développée dans l’attitude de Serph et de Harvey.

    « Nous avons eu peu de temps d’analyser les preuves réunies sur la scène de crime. »

    « Vous avez tort au sujet de la blessure infligée au professeur. »

    L’inspecteur général adjoint fronça les sourcils face au sourire de Serph.

    « Que voulez-vous dire ? »

    Harvey tordit ses lèvres. « Il demande probablement si le professeur n’a pas eu le tibia blessé lors de sa lutte contre son agresseur. »

    Tandis que Serph débattait avec l’inspecteur, Harvey s’approcha d’une fenêtre en passant en revue les évènements, mais finit par perdre patience.

    « Oui, c’est ce qui a certainement dû se produire », se défendit l’inspecteur.

    « Savons-nous ce que faisait le professeur peu de temps avant sa mort ? » demanda Harvey.

    Cette fois, le policier de couleur se chargea de lui répondre :

    « Il semblerait qu’il était en train d’écrire une lettre. Nous avons trouvé une lettre non signée sous son bureau, il devait être en train de l’écrire au moment des faits. Elle était adressée au docteur Margot Cuvier de l’Organisation Mondiale de la Santé. »

    Heat comprit qu’il s’agissait là de ce même docteur qui avait tenu la conférence. Il ressentait un intérêt pour cette lettre, mais se doutait que les policiers ne lui permettraient pas de la lire.

    « Des hypothèses sur un éventuel suspect ? » demanda Serph.

    Le policier répondit tout en lançant un regard vers Heat.

    « …Je pense qu’il s’agit d’une connaissance du professeur qui fait partie de cet établissement. »

    Il ne paraissait nullement surpris d’être questionné par Serph, mais il se devait de partager des informations au F.B.I également. Il souffla avant de continuer son explication sur le profil du meurtrier.

    « L’incident s’est produit au sein de cet immense domaine universitaire en pleine nuit. Personne ne semblait être sur les lieux à part vous, O’Bien, ainsi que le professeur Harris au quatrième étage où nous nous trouvons, mais des étudiants se trouvaient toujours dans les autres étages, il était donc impossible pour le meurtrier de ne pas attirer l’attention. On l’aurait vu dans les cinq minutes précédant sa montée au quatrième étage avant d’être appréhendé. »

    Tous les policiers étaient attentifs, Serph souriait.

    « Savez-vous ce qu’est l’espace personnel messieurs ? » Cette fois, ce fut Serph la source de tous les regards, une même expression que Heat partageait, excepté Harvey, un sourire crispé aux lèvres. Serph expliqua que tout le monde était doté d’un espace individuel au sein de son environnement corporel.

    « Pour dire les choses simplement, le fait de déterminer jusqu’où une autre personne peut approcher cet espace relève de la psychologie de distanciation. »

    Cette distance variait inconsciemment en fonction de la personne. S’il était question d’un membre d’une famille ou d’un amant, la personne autorisait alors inconsciemment d’être approchée à une distance de moins de cinq centimètres. S’il s’agissait d’un ami, il pouvait s’approcher de cinq centimètres à un mètre. Si c’était une simple connaissance, la distance pouvait s’étendre jusqu’à trois mètres, voire plus encore. Dans le cas où il s’agissait d’un collègue, le professeur avait pu se sentir inconfortable.

    Avec cette déclaration, Heat se dit que Serph devait certainement viser un master en psychologie.

    « Le professeur Harris était en train d’écrire une lettre à son bureau. Si Heat était le tueur, ne croyez-vous pas que le professeur aurait quitté son siège et se serait présenté devant son bureau pour l’accueillir ? »

    L’inspecteur général adjoint ainsi qu’un autre policier plus jeune échangèrent un regard, ce qui n’arrêtait pas Serph pour autant.

    « De là où vous vous tenez messieurs, soit à une distance de cinq mètres, cela correspond à la distance à laquelle le professeur a fait face à son meurtrier. Ce dernier l’a alors poignardé sur place. Il n’aurait pas pu le tuer s’il ne s’était pas approché. »

    « Et si le professeur ne pouvait pas bouger à cause de son espace personnel ? » Se moqua un des policiers.

    « Si Heat était le criminel, oui. Imaginez qu’un de vos étudiants, quelque peu étrange, se rendait à votre bureau en pleine nuit, que feriez-vous ? D’autant plus si cet élève, avec une différence d’âge telle avec son professeur, avait déclenché une querelle une semaine avant ? »

    Heat avait l’étrange sensation d’entendre sonner le glas au-dessus de sa tête. Au même moment, il vit un rictus apparaître sur les lèvres de Serph. En effet, lors de leur querelle une semaine plus tôt, le professeur n’avait pas quitté son bureau, et s’était à peine approché de la réception. Serph avait déjà prouvé sa capacité à lui apporter des malheurs mais il se montrait désormais comme un détective confirmé.

    « Si Heat s’était approché et avait poignardé le professeur, n’y aurait-il pas de traces de cette lutte autour de son bureau ? »

    « Le bureau était sans dessus dessous, mais selon les autorités de la ville, il y avait des traces de sang. » Le policier de couleur avait ainsi apporté sa contribution avec cette réponse, ce qui amena l’inspecteur général adjoint à soulever une nouvelle hypothèse.

    « Donc, le professeur aurait été poignardé puis traîné jusque là où il a été trouvé ? Si c’était le cas, il y aurait eu des traces au niveau du tibia. La salle n’est pas si grande, les traces aurait été encore plus visibles, non ? »

    Harvey ajouta : « Cela a commencé lorsque le professeur se tenait à une certaine distance de son bureau. Puis, une dispute a éclaté et son agresseur l’a frappé à la tête. Du moins, c’est ce que nous sommes amenés à penser. »

    Harvey était un enquêteur du F.B.I. S’il pensait que la blessure n’avait pas été infligée d’une certaine façon, il y avait sûrement une raison.

    Serph se montra dubitatif. « Qu’en penses-tu, Heat ? Cela te semble probable ? »

    « Ne me le demande pas ! »

    Serph lui causait encore du malheur et avait désormais fait de lui son subordonné. À cette pensée, Serph lui lança un sourire intrépide.

    « C’est ton tour, dis leur que c’est impossible. »

    « Combien de fois devrais-je te dire qu’il était déjà tombé quand je suis arrivé ! »

    « Ne soyez pas stupide. Nous défendons votre cas depuis le début. »

    Serph regardait le policier qui levait un sourcil à l’attention de Heat. Il tentait d’établir un consensus, mais tout ne se passait pas comme il le souhaitait. Serph expliqua alors qu’il était question du temps alloué au tueur entre sa montée du premier au quatrième étage, et du temps avant d’être aperçu par les autres élèves et la dispute avant la chute du professeur. Tout cela n’avait pu se produire en l’espace de cinq minutes. Serph défendait la cause de Heat.

    « De plus, ajouta-t-il, prenez en compte le temps pour Heat de s’emparer du disque puis de le dissimuler. »

    Mais l’inspecteur général adjoint persistait : « Le disque n’était-il pas posé sur le bureau ? »

    Harvey lui répondit : « Le meurtrier s’est rendu ici avec l’intention de le tuer. Le professeur Harris écrivait une lettre au moment de sa venue. Mais il a été surpris par cette visite impromptue, et l’a renvoyé. Quand on y réfléchit, cela ne lui aurait pas pris beaucoup de temps. »

    Serph posa alors une question aux enquêteurs :

    « Dans ce cas, pourquoi y avait-il des traces de lutte sur son bureau ? Si le coupable avait l’intention de s’emparer du disque depuis le début, et au vu des traces présentes, il n’était pas à sa portée. De plus, si cette personne avait bien l’intention de tuer le professeur dès son arrivée, ne pensez-vous pas qu’elle se serait munie d’une arme au préalable ? »

    « Le professeur a sûrement essayé de se défendre et s’est fait poignardé facilement, au vu des instruments présents dans son bureau. »

    En vérité, les mots de Serph avaient mis les enquêteurs mal à l’aise. Après réflexion, cette affaire comportait des éléments bien étranges d’un point de vue médical.

    Les bras et le reste du corps avaient subi de nombreuses lacérations par arme blanche, et il était évident de constater des blessures infligées lorsque le professeur avait tenté de se protéger contre des blessures mortelles. Il n’aurait pas été assez inconscient pour se laisser tuer sans rien faire. En faisant face à son meurtrier, son corps avait réagi par survie.

    « Sans oublier le fait que si cela avait été professionnel, il aurait agi bien plus vite… »

    « L’arme du crime se trouvait déjà sur place, répondit Serph. Sans oublier que Heat n’aurait pas eu la force d’effectuer un tel acte. »

    À ces mots, le policier adjoint fut grandement perturbé. S’il s’agissait bien d’un professionnel, il n’aurait pas pris le risque de saisir une arme sur le lieu de son propre crime. En imaginant le profil du meurtrier à partir de ces éléments, Heat ne correspondait pas.

    Il était difficile de penser qu’un étudiant pratiquant la boxe ait pu commettre un tel acte, et seul un tueur professionnel aurait eu la dextérité de s’enfuir sans être vu entre les étages.

    « Il n’y aurait donc pas eu de lutte… ? »

    « Bravo inspecteur ! Vous vous rapprochez du but ! » Félicita Serph.

    Il lança alors un sourire malicieux à Heat, comme s’il attendait que son cheminement de pensée parvienne jusqu’au sien. Quant à l’inspecteur Harvey, son rictus désagréable avait disparu. Il se tenait silencieusement et avait l’air particulièrement attentif aux propos tenus par Serph. Le policier adjoint de son côté tenait ses mains sur ses hanches, ses jambes à la limite de faillir. Enfin, le policier de couleur arborait un visage abattu.

    « Tuer quelqu’un n’est pas chose aisée, vous savez. » Affirma Serph.

    « Et Heat ? Vous pensez qu’il en est incapable ? » Avait rétorqué Harvey.

    « Ah, oui. C’est un effet de résistance psychologique. Lorsque l’on observe les cas de personnes tuées par armes blanches, un détail ressort le plus. Nous pouvons être amenés à penser que les coupables sont pris d’une rancune grandissante, mais en général, les agresseurs affichent peu de ressentiment vis-à-vis de leurs crimes. Ils souhaitent tuer leurs victimes le plus vite possible, et se retrouvent à causer plus de blessures que nécessaire. C’est pour cela que les tueurs vivent avec un stress particulièrement important. En outre, c’est une pathologie commune.

    En contrepartie, il est plus facile de tuer dans une situation de self-défense. En moyenne, il y a trente-et-un millimètres qui séparent la peau du péricarde. Dans le cas du professeur Harris, il a été blessé à l’artère principale du cœur, mais même dans ce cas de figure, la distance entre cette aorte et le monde physique n’est que de soixante-quatre millimètres, et il est bien plus simple de poignarder que de couper. Également, en fonction de l’objet utilisé, la peau, partie sous-cutanée ou les muscles sont touchés par la lame avant d’atteindre l’artère… Je pense qu’il faudrait appliquer une force d’à peu près cinq kilos pour y parvenir avec la pointe de la lame. »

    Serph avait fourni toute son explication en un seul souffle en essayant de cerner le coupable tout en regardant Heat qui divaguait. Il était vrai qu’en prenant en compte ces informations, tout paraissait logique. Mais qui était le coupable ?

    « En d’autres termes… », Serph ajouta en levant son petit doigt, « Si la pointe est assez aiguisée, et aussi courte que mon petit doigt, n’importe qui, même un enfant, aurait pu le tuer. »

    L’adjoint s’exclama en affichant un sourire candide « Ne soyez pas stupide ! Un gosse aurait assassiné le professeur ? » Lui qui écoutait si religieusement avait perdu pied face à cette hypothèse.

    Serph avait anticipé cette réaction et répondit avec un sourire sarcastique « C’était une allégorie, inspecteur. »

    Il gardait le sourire, car il était évident qu’un enfant n’avait pas tué le professeur, ni Serph et ni Heat ne considéraient cette option.

    « Cette affaire s’éternise, intervint alors Harvey. Je sais bien que viser le cœur avec un objet coupant n’est pas facile, surtout que le cœur est protégé par les côtes. Le coupable s’est emparé d’une lame présente sur place et a bien visé le cœur par rapport à l’espace qui le séparait des côtes. Il s’agit forcément d’une personne qui connaît l’anatomie humaine avec précision. »

    « Comme vous dites, lui confirma Serph, atteindre sa cible avec une telle précision n’est pas à la portée de n’importe qui. Je comprends ainsi vous suspicions à l’égard de Heat. »

    « Hé ! » S’exclama Heat.

    « Mais si son but n’avait pas été de viser le cœur ? » Serph formula alors une nouvelle hypothèse, agaçant le policier adjoint qui avait atteint les limites de sa patience.

    « Si vous voulez dire quelque chose, dites-le simplement ! Contrairement à vous, nous sommes des personnes occupées ! »

    Serph se contenta de hausser les épaules d’un air ennuyé. On aurait dit un enfant qui n’en finissait pas de s’amuser.

    « La mort du professeur est accidentelle. »

    Les policiers se regardèrent d’un air circonspect. L’inspecteur Harvey caressait sa barbe de sa main droite.

    « Et en parlant de petit doigt, connaissez-vous sa signification au Japon ? » Demanda-t-il en le levant à nouveau.

    « L’amour. »

    Le langage corporel, sujet qu’un étudiant en psychologie connaissait mieux que quiconque…

     

    CHAPITRE 7

    L’inspecteur général adjoint montrait son indignation d’un ton grave face aux accusations contre l’épouse du professeur, Kelly. Malheureusement, son alibi avait déjà été confirmé.

    « C’est regrettable mais si les deux étaient proches, cela fait d’elle une suspecte. »

    « Vous faites allusion à un adultère ? Vous pensez vraiment qu’elle aurait poignardée son propre époux pour une raison comme celle-ci ? C’est bien la première fois que j’entends des inepties pareilles. »

    L’inspecteur général adjoint se tourna vers le policier de couleur qui secoua la tête, visiblement aussi confus qu’il ne l’était.

    Serph était mis à part face à ce consensus, l’un des policiers lui demanda alors :

    « Vous en parlez comme si vous étiez présent, mais que savez-vous sur les relations qu’entretenait le professeur ? »

    L’inspecteur Harvey fit alors irruption, son visage laissant voir un regard crispé. Serph quant à lui affichait toujours son sourire suffisant avant de répondre, sans se retourner :

    « Comme je vous l’ai dit, il s’agit là d’une possibilité. »

    « Qu’est-ce que ça veut dire ?! Il n’y a aucune preuve ! »

    « Nous pouvons en dire autant du cas de Heat ! »

    L’inspecteur général adjoint et les autres policiers semblaient interloqués face à la voix soudainement élevée de Serph. Heat n’en fut pas moins surpris qu’eux de cette manifestation de sentiments non réprimés, alors qu’il connaissait à peine le jeune homme. Il ignorait s’il s’agissait là d’une énième démonstration de son Power Play ou s’il commençait à se sentir coupable, mais il préféra chasser cette idée de sa tête.

    Serph s’était mis dans tous ses états pour Heat. Il était en train d’affronter trois adultes afin de prouver son innocence.

    Mais la raison pour laquelle il allait jusqu’à de telles extrémités lui échappait encore. Heat s’en voulait de ne ressentir que le doute à son égard. De là où il se trouvait, il sentait que son attitude n’était pas factice. De même, il n’aurait pas révélé ses véritables intentions à la cafétéria s’il comptait le tromper. D’autant plus que parmi les vingt mille étudiants qui résidaient dans cette université, Serph était la première et seule personne à s’emporter ainsi pour sa cause.

    « Le disque est-il le seul objet à avoir disparu ? » Serph demanda-t-il à l’inspecteur, en centrant de nouveau l’attention sur quoi Heat était impliqué.

    « Il y en a d’autres : un attaché caisse, un carnet de notes et un briquet. »

    Madame Harris ne semblait pas être le genre de femme à vérifier méticuleusement ses effets personnels, cependant, ceux qui ont été dérobés étaient des documents médicaux confidentiels. Cela pouvait-il être l’œuvre de son épouse ? Elle était plus âgée que lui et pouvait peser une quarantaine de kilos. Lors de sa visite la semaine dernière, ils semblaient former un vieux couple tout ce qu’il y avait de plus naturel. Après tout ce temps, la piste de l’adultère autour de son épouse était improbable, et son alibi solide.

    Comme le professeur était quelqu’un de très occupé, il avait sûrement confié son attaché caisse à son épouse. Également, les modèles actuels d’ordinateurs étaient beaucoup plus fins que ceux des générations précédentes, ainsi il aurait été facile d’en extraire le disque dur. C’était la seule explication possible. Si le coupable en avait après ce disque, il n’aurait pas pris la peine de s’emparer des autres effets personnels.

    Même si le coupable s’était fait passer pour un voleur, voler un carnet de notes et un briquet était troublant, mais peut-être était-ce là son objectif ? Heat se défendit en énonçant la probabilité suivante :

    « Si j’étais le tueur, pourquoi aurais-je volé des effets aussi futiles ? »

    À cette remarque, Serph hocha la tête. Le coupable s’était rendu dans le bureau du professeur en sachant qu’il allait être reçu par ce dernier, et le drame s’était alors produit. Le tueur s’était emparé d’un des instruments médicaux sur la table afin de le poignarder. Le professeur avait résisté avec ferveur, ce qui expliquait les blessures infligées aux tibias qui ne provenaient pas de son assaillant directement, mais bien de self défense avant de provoquer sa mort. L’agresseur l’avait poignardé en plein cœur puis, pris de panique, aurait saisi tous les objets susceptibles de remonter jusqu’à lui. Peut-être ignorait-il tout du contenu du disque dur, mais s’en serait emparé, craignant son contenu.

    Serph se tourna vers les policiers afin d’établir une solution.

    « Le mal a malheureusement déjà été commis, mais je pense que nous devrions concentrer nos recherches sur le corps de la victime plutôt que de douter de mon ami. N’êtes-vous pas d’accord, officier ? »

    Le principal concerné fit de son mieux pour que son râle soit dissimulé dans un raclement de gorge. Serph voulait connaître le fond de la pensée d’Harvey.

    « Aspirez-vous à devenir avocat monsieur Sheffield ? » lui demanda-t-il.

    « Non, plutôt un thérapeute. »

    « J’y réfléchirais à deux fois si j’étais vous, lui répondit Harvey avec mépris. Vous feriez un excellent avocat. »

    « Merci bien. »

    Harvey se décala du mur, la cravate dénouée.

     

    CHAPITRE 8

    Heat se penchait afin de ramasser la pile désordonnée de livres scolaire sur le sol, près de son bureau d’étude. Il entendit Serph lui parler tout bas depuis l’arrière de la cuisine.

    « Ils ont trouvé tes empreintes, ce fait est inévitable. »

    « Ils en ont trouvé d’autres qui ne m’appartiennent pas. »

    Heat lui tourna les talons en balançant son livre scolaire sur la biochimie qu’il avait acheté d’occasion à la librairie universitaire.

    Dans la petite cuisine, Serph était avachi sur la chaise, à manger une part de pizza. Comme Heat avait le ventre vide, il en avait profité pour ramener chez lui une pizza de son petit boulot, et l’avait fait réchauffer au micro onde. En voyant Serph s’emparer de la dernière part, il le regarda du coin de l’œil, exaspéré.

    Heat vit alors Serph le fixer du regard au moment où ce dernier se lécha le bout des doigts. Heat sentit alors la bière s’écouler dans son estomac, rassasié.

    « Pourquoi est-ce que je dois subir tout ça ? »

    La lumière du coucher de soleil passait de toute part à travers la fenêtre à l’ouest de la salle du petit appartement qui avait été ravagé par la police municipale durant leur enquête. Un geste inutile aux yeux de Heat, qui pensait à tort que tout serait terminé après l’interrogatoire de la veille.

    Alors qu’il se préparait à aller en cours, Heat avait aperçu des policiers municipaux sous les ordres du policier général adjoint se présenter avec un mandat. Ses empreintes digitales avaient été relevées sur l’arme du crime, et pour couronner le tout, l’inspecteur Harvey gardait l’œil sur lui. D’autres empreintes de personnes non identifiées se trouvaient sur les instruments médicaux. Il était tout naturel de penser qu’au vu des évènements survenus autour de ces outils, il était limpide que Heat avait été le dernier à les avoir touchés. Étant donné la situation, il était inconcevable pour les policiers de ne pas mener d’enquête. C’était du moins selon les dires du policier général adjoint. De plus, Heat ne pouvait aller à l’encontre d’un mandat.

    Serph avait croisé la route du policier adjoint, les deux s’étaient donné rendez-vous dans l’après-midi. Cependant, Heat était absent, Serph avait par conséquent essayé de le contacter. Les deux jeunes gens avaient échangé leur numéro la veille.

    « La police bluffe. » lui assura Serph.

    Il ne pouvait en être autrement. Enfin, c’était ce qu’Heat et Serph en avaient conclu le soir précédent. Visiblement, la police ne semblait pas avoir la moindre preuve. Toujours était-il que l’enquête était loin d’être terminée, et que même si la police venait à trouver une preuve ne serait-ce que plausible, le doute subsisterait sur Heat.

    « Ne t’en fais pas, poursuivit Serph. Tu n’as pas pris l’arme avec ta main dominante, cela peut être un élément à ton avantage dans cette affaire. »

    Heat s’était en effet emparé de l’arme avec sa main gauche, et ils pensaient que ce fait pouvait le laver de tout soupçon, ou ils essayaient de s’en persuader. La police poursuivait cette enquête en gardant cette possibilité à l’esprit. Cependant, la police autant que le FBI avaient été clairs sur le fait qu’ils ne compenseraient pas le temps perdu, car les examens de mi semestre approchaient. Si Heat venait à échouer ne serait-ce qu’une seule épreuve, cela pouvait compromettre ses plans de fin de cursus l’an prochain.

    Cette stagnation au sein de la faculté de médecine était insupportable. Heat avait ses raisons pour accélérer ainsi son cursus, et son plus grand obstacle était l’argent. Obtenir un diplôme de l’université de médecine demandait une grande somme. Il ne s’agissait pas seulement du salaire, mais aussi des diverses bourses d’études et emprunts, sans parler de la nécessité de trouver un petit boulot. Les dettes s’accumulaient à pas moins de cent vingt mille dollars. Ainsi, il fallait écourter ses années d’études le plus possible. Par ailleurs, Heat se refusait d’inquiéter sa mère, qui vivait seule dans sa ville natale, pour des problèmes d’argent.

    Lorsque son inscription à l’université de Yale avait été confirmée, sa mère lui avait confié l’argent sur son compte bancaire sans l’en informer. Les parents de Heat étaient divorcés, et sa mère avait toujours économisé sans jamais dépenser. Heat se souvenait encore de ses doigts tremblants qui lui remettaient la somme de son compte en banque. Mais Heat était obstiné, il ne pouvait accepter l’argent de sa propre mère. C’est pourquoi il se devait de finir ses études le plus tôt possible afin qu’elle puisse vivre dans la stabilité, à l’abri de toute inquiétude.

    Il repensa à l’enterrement de sa petite sœur, et se rappela sa honte qui le mit au bord des larmes, celles-ci n’osaient même pas couler. Sa mère le fit réaliser le but de son existence ce jour-là. Tandis qu’ils regardaient la mise en terre, Heat sentit la main de sa mère sur son épaule, puis son murmure :

    « Chacun souhaite être traité avec la même compassion. Tu le sais bien. Ta sœur a été accueillie par Dieu avec bienveillance. »

    Ses mots avaient non seulement sauvé Heat, mais fait de lui ce qu’il était devenu aujourd’hui.

    « Tu as la tête de quelqu’un qui est dans une impasse. »

    Serph soupira avant de mentionner « That’s Catch » face à Heat qui restait silencieux. Soudain, il prit conscience de ce nom et fut saisi d’une rage folle avant d’empoigner Serph par le col et lui souffler de colère :

    « Ne prononce plus jamais ces mots-là devant moi. »

    Ses yeux figés et sa gorge nouée, Serph hocha la tête à plusieurs reprises.

    « Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? » murmura-t-il.

    « … Je suis désolé. » Heat lâcha prise.

    « Tu m’as l’air tourmenté. Parle-moi. »

    Heat pensait qu’il pouvait enfin se confier à quelqu’un. Il s’était juré de ne jamais aller à l’Église, mais comprenait enfin ceux qui ressentaient le besoin de se rendre au confessionnal. Il lui parla alors, les mots sortaient de sa bouche sans retenue aucune jusqu’à ce qu’il ne puisse plus s’exprimer.

    Il existait une maladie répondant au nom de « Syndrome de délétion 22q11.2. » Il s’agissait d’une perte de gènes du chromosome 22 qui entraînait des malformations cardiaques. Ce syndrome était plus communément appelé « CATCH 22. »

    Les chromosomes étaient des éléments porteurs d’information génétique formant l’ADN et les protéines. Ces gènes étaient considérés comme la base de toute vie. Quarante six chromosomes étaient divisés en vingt-deux paires. Les maladies génétiques étaient des anomalies qui se caractérisaient par un surplus ou un manque de chromosomes. Cela pouvait provenir d’une mutation génétique, ou bien suite à une transmission défectueuse de l’information génétique des parents à l’enfant. Aujourd’hui, la maladie était reconnue parmi plus de huit mille cas, cependant, seulement un quart des causes de maladies génétiques présentaient une origine connue.

    La petite sœur de Heat faisait partie de ces cas. Elle était née avec ce que l’on pensait être le syndrome de délétion 22q11.2. On disait qu’il y avait une fréquence de manifestation de un sur cinq mille.

    Ce que l’on nommait CATCH 22 concernait les maladies telles que les anomalies cardiaques, les malformations du faciès, les aplasies thymiques, les fissures palatines, ou encore l’hypocalcémie. En revanche, avant d’être reconnues comme des termes médicaux, ces maladies étaient décrites par des expressions idiomatiques anglaises dont le sens échappait et confrontait à de nombreux dilemmes, en premier lieu des contradictions et situations irrationnelles. Ainsi, les rapports les désignaient comme des maladies aux noms douteux. Et bien sûr, Heat pensait aux souffrances des malades et de leurs familles, mais ce n’était pas la seule raison d’une telle réaction face aux paroles prononcées par Serph.

    Il y avait neuf ans de cela, Heat ignorait, et plus encore, se méprenait sur la maladie qui rongeait sa petite sœur. Il était constamment effrayé à l’idée de porter ce fardeau, lui dont le même sang coulait dans ses veines. Sa mère l’avait pourtant rassuré maintes fois que cette maladie n’était pas contagieuse, mais Heat ne pouvait ignorer les rumeurs qui se propageaient parmi les enfants dans le voisinage, et il faisait tout pour maintenir une distance entre lui et sa sœur.

    Un jour, à la demande de sa mère, Heat devait lui apporter du lait. À chaque fois qu’il entrait dans sa chambre, il retenait son souffle face à sa sœur qui lui souriait et le remerciait. Son sourire restait gravé dans sa mémoire encore aujourd’hui. Pendant les vacances d’hiver de cette même année, la grippe faisait rage dans la Côte Est. Comme les vaccins manquaient, Heat n’avait pu être immunisé. Sa mère lui avait alors interdit de sortir de la maison.

    Un des premiers symptômes du 22q11 était la délétion suite à une anomalie du cœur. Les enfants qui souffraient de ce mal avaient une résistance plus faible face aux virus et aux infections. Un enfant qui n’avait pas reçu de vaccin préventif pouvait présenter des cas plus graves de la maladie.

     La mère de Heat craignait que ce dernier n’aggrave l’état de sa petite sœur en lui transmettant la grippe. Un jour où sa mère était absente, celui-ci était sorti jouer avec des amis. Il avait alors remarqué que sa sœur le regardait depuis sa fenêtre. Heat pensait qu’il expliquerait tout à sa mère une fois rentrée. Au retour, sa sœur l’avait accueilli sans aucun reproche.

    Malheureusement, Heat développa une forte fièvre cette nuit-là et sa sœur fut placée dans un cercueil la semaine suivante.

    « C’est moi qui l’ai tuée. »

    Serph resta silencieux, ne laissant transparaître aucun jugement ni aucune compassion. Il écoutait les yeux fermés.

    À cette époque, Heat comprit que Dieu n’existait pas. Sa sœur l’avait quitté, et lui vivait encore. Si ce que l’on enseignait à l’Église et à l’école était vrai, alors Dieu n’aurait jamais commis cette terrible erreur, sa sœur ne serait jamais venue au monde avec cette maladie, ni même tous ces autres enfants qui souffraient de bien des maux. Ils n’auraient pas subi le poids de ce destin cruel qui les condamnait à mourir alors que leur vie commençait à peine. Tout ne pouvait trouver son explication dans la logique ou la raison. Dieu créait des Hommes bénis, soumis, sans aucune considération pour leur vie. Il était impartial. Pensait-il seulement à ces êtres frappés par la maladie, faisant tout leur possible pour survivre, ainsi que leurs familles ? Cette pensée même poussa Heat à se mordre plus fermement les lèvres.

    Il ne pouvait plus tenir la main de sa petite sœur, mais il pouvait encore sauver ces enfants. Faire ce qui était impossible même pour Dieu. Il pensait à ces enfants qui avaient la chance de vivre, de pleurer, faire des caprices. C’est depuis ce tragique évènement que cette maladie, CATCH 22, peu importait son origine, était devenue l’ennemie juré de Heat.

    Heat mit alors tous ses efforts dans ses études, l’ignorance incarnait désormais le péché pour lui. Les maladies héréditaires ne surgissaient pas seulement suite à une transmission des parents à l’enfant, mais pouvait se manifester chez qui quiconque par mutation génétique. Plus qu’une certaine particularité de la maladie transmissible par les parents, cela dépendant également de la santé physique de l’enfant lui-même. Les grands-parents paternels de Heat avaient accusé sa mère d’avoir transmis la maladie à sa petite sœur, entraînant ainsi le divorce de ses parents.

    L’ignorance était un péché impardonnable.

    Serph écoutait toujours de ses yeux fermés, les joues entre ses mains pendant que le râle du frigo résonnait dans la pièce.

    « Tu es un imbécile. »

    C’était ce que Heat pensait également. Il avait tué sa sœur, avait failli sur son professeur et si Serph n’avait pas été là, il n’aurait jamais pu se défendre seul. C’était lui l’impardonnable. Il ne cessait de revivre dans son cœur les évènements survenus neuf ans auparavant.

    « Mais tu n’es pas détestable. La seule chose qui est véritablement impartiale pour l’être humain est le temps. C’est aussi ce que je pense, et c’est pour cette raison que je s’en suis arrivé là aujourd’hui. »

    Tandis qu’il écoutait Serph, Heat regardait la lumière du crépuscule laisser progressivement place à la nuit.

    « Le temps ne s’arrête pas, même pas pour nous. Alors rattrapons ensemble ce temps que nous avons inutilement perdu, laisse-moi t’accompagner dans cette voie. »

    Pour toute réponse, Heat se contenta d’hocher la tête. Serph termina en se levant d’un coup de pied de sa chaise.

    « Je serai à tes côtés jusqu’à ce que l’on atteigne ensemble la gloire sur ce monde. »

     

    CHAPITRE 9

    La bibliothèque Beinecke était réputée pour abriter des textes et archives historiques dans les langues du monde entier et d’époques variées. Connue comme le plus grand symbole de l’université de Yale, elle était alignée à la bibliothèque commémorative Sterling que l’on pouvait apercevoir près de l’institution Berkeley qui possédait des centaines de milliers de documentations archivées.

    « Qu’est-ce qu’on fait ici, Serph ? » Lui demanda Heat, tandis qu’il s’arrêtait sur son vélo. Serph lui, avait déjà atteint l’entrée de la bibliothèque.

    Ils avaient quitté aussitôt l’appartement de Heat pour se rendre sur place en vélo tout-terrain à la demande de Serph. En chemin, Heat l’avait questionné sur la raison de leur venue mais Serph ne lui avait fourni aucune réponse.

    Après le coucher de soleil, le ciel avait fait place à une trainée rouge. Il était enfin temps pour les étudiants, mêmes les plus disciplinés, de retirer leurs lunettes de soleil. Serph restait silencieux et poursuivait son chemin à l’intérieur de la bibliothèque dont l’air froid et le parfum des anciens ouvrages attisaient la curiosité. Heat aimait l’odeur qui se dégageait de tout ce savoir accumulé par l’Homme.

    L’établissement avait été construit avec du marbre et du granite dont un pilier central s’élevait jusqu’au cinquième étage. Ce dernier était encadré par de nombreuses étagères qui abritaient un nombre incalculable d’ouvrages jusqu’au plafond, éclairé par de faibles lumières. Serph présenta sa carte d’étudiant à la réception afin de confirmer son admission.

    Il avait demandé à consulter le Manuscrit de Voynich.

    « Le professeur a lu ce livre. » Lui avait-il affirmé, et Heat en fut pris de court. Comment Serph pouvait-il savoir cela ?

    Ils se dirigèrent vers une salle de lecture individuelle et étroite, bien trop pour contenir ne serait-ce qu’une table accompagnée de quatre chaises. Le bâtiment ne comportait aucune fenêtre, donnant ainsi l’impression d’être entièrement confiné. Il était interdit d’emprunter des ouvrages trop anciens, mais il était possible de les copier ou encore de les lire sur place après avoir reçu les livres en main propre dans une salle de lecture.

    « Pourquoi as-tu demandé à consulter un livre pareil ? » Heat demanda alors à Serph après leur entrée dans la salle. Serph répondit à sa question par une autre question.

    « Connais-tu Skull & Bones ? » Cette question était pour le moins inattendue. Si Heat n’entretenait que très peu de relations avec ses collègues, ce nom lui était pourtant bien familier.

    Skull & Bones était l’objet de toutes les rumeurs répandues parmi les étudiants de Yale. Il y avait dix ans de cela, des membres des partis démocrate et républicain auraient fait partie de ce groupe dont l’existence n’était pas un secret pour les médias, au même titre que leur origine très lointaine, puisque leur fondation remonterait à 1832. Chaque année au sein de Yale, environ quinze étudiants sur le point d’être diplômés était sélectionnés.

    Skull & Bones représentait l’ombre du tableau de la vie universitaire. Ne devenaient membres que des personnes préalablement désignées, et aux profils élevés. Il était strictement interdit de parler publiquement de ce groupe. Les étudiants aux notes exemplaires, les sportifs de haut niveau, ceux qui excellaient dans leur domaine respectif, ou encore les personnes issues de bonnes familles étaient susceptibles d’être sélectionnés. Selon la rumeur, le groupe serait en réalité sous la coupe des Bonesmen. Leurs réunions concerneraient également les affaires politiques mondiales, mais pas uniquement.

    Même dans son entourage restreint, Heat avait bien entendu parlé d’eux. Ils seraient impliqués dans l’Histoire américaine, dans des associations, des groupes entourant la chimie, la psychologie, la chirurgie… On murmurait même qu’ils avaient une position des plus importantes parmi le département de renseignement de la CIA. Les élus étaient promis à un avenir des plus privilégiés. Tous les étudiants montraient un certain intérêt pour ce groupe.

    Heat se crispa en repensant aux propos de Serph la veille. Que voulait-il dire par « jusqu’à ce que l’on atteigne ensemble la gloire sur ce monde » ? Au moment où il allait le questionner, quelqu’un frappa à la porte. En ouvrant, une autre bibliothécaire se tenait sur le seuil, portant un ouvrage en cuir de ses mains gantées de blanc.

    Le livre semblait plus large qu’un format A5. S’agissait-il du manuscrit de Voynich ? Serph prit le livre des mains de la bibliothécaire et Heat enfila sa paire de gants posée sur la table afin de ne pas endommager le livre.

    Serph retourna un sourire sympathique à la bibliothécaire qui devait être âgée d’une trentaine d’années. Celle-ci retourna immédiatement à son travail en passant derrière les étagères avant de fermer la porte derrière elle.

    « Le professeur Harris faisait partie de Skull & Bones, lui informa Serph. Il a également copié le contenu de ces pages. Je pense que les deux sont liés. »

    Heat feuilleta le manuscrit posé sur la table, et ce qu’il vit était pour le moins étrange. L’ouvrage devait faire environ deux cent pages, et sur les cents premières se trouvaient des illustrations hautes en couleur de motifs floraux accompagnés de légendes, elles-mêmes entourées de texte issu d’une langue dont il n’avait encore jamais vu pareille écriture. De nombreuses illustrations allaient avec des échantillons illisibles à l’œil nu.

    De nombreuses plantes semblaient appartenir à la famille des astéracées, pourtant, aucune n’était connue de ce monde. Les quinzaines de pages suivantes semblaient dédiées à des symboles astronomiques, hindou ou yantra qui faisaient référence à des symboles géométriques étranges, des dessins d’étoiles qui évoquaient le Mandala issu du bouddhisme. L’attention de Heat se porta alors sur un soleil avec un visage dessiné en son centre.

    « Ce sont… Des schémas anatomiques ? »

    En effet, les schémas suivants avaient l’air de porter sur la biologie. Un dessin confus d’une femme de petite taille était dessiné, accompagné de schémas de vaisseaux sanguins et de cellules nerveuses. Mais la langue était toujours indéchiffrable, tout comme les annotations présentes dans les marges des pages. Les descriptions s’apparentaient cependant à de la médecine, donnant ainsi l’impression qu’il s’agissait d’une encyclopédie scientifique.

    « Qu’est-ce qui est écrit là-dedans ? On dirait du grec, mais je n’avais encore jamais vu cette écriture. »

    « Personne ne le sait, lui répondit Serph. De nombreux mathématiciens de l’armée, des anthropologues et des linguistes ont maintes fois essayé de décrypter ces signes, en vain. Ce que nous savons en revanche, c’est que l’Alpha Tauri et les Pléiades sont bien inscrites sur ces pages. »

    Selon lui, ce manuscrit aurait été écrit au XVème siècle, et aurait été racheté par un marchand polonais au nom de Wilfrid Voynich à une université italienne en 1921. Mais cet exemplaire en serait une copie, sans parler du fait que ni les microscopes ni les télescopes n’existaient au XVème siècle, et encore moins la connaissance du préfixe « micro ».

    « Serait-ce un texte crypté ? Une langue inconnue ? Certains prétendent que le texte est une imposture remplie de non sens. D’autres affirment qu’il renferme les secrets de la philosophie et des sciences naturelles. Peu importe son origine, les informations écrites dans ce livre sont tout simplement indéchiffrables, qu’elles soient authentiques, ou factices. C’est très évocateur de ton cas, Heat. »

    « Le professeur Harris était spécialisé en génétique. Pourquoi aurait-il consulté un livre pareil ? Attends une minute… Non, ce n’est pas possible… Il contiendrait les bases des séquences nucléotides ?! »

    De ses propres mots, Heat remarqua d’étranges régularités dans l’écriture. Divers types de mots ressemblaient à des syllabes courtes, et de nombreuses parties du texte évoquaient des syllabes qui se répétaient dans un ordre aligné, accompagnées de dessins indiquant la composition de la protéine, la molécule de base de tout organisme vivant, mais aussi la molécule de séquence de l’ADN (adénine, cytosine, guanine, et thymine). Nul n’était en mesure de lire cet ouvrage, ainsi, il ne pouvait l’affirmer avec certitude. Le fait de relier ces éléments sans aucune preuve était un blasphème envers la science elle-même. Cependant, Heat ne pouvait repousser le malaise qui l’envahissait.

    « Ce sont des informations génétiques cryptées. Celui qui a écrit ce livre a entassé suffisamment de savoir pour l’inscrire sur ces pages et faire en sorte que personne ne puisse les lire. Le professeur… a peut-être été amené à ouvrir ce livre pour un projet lié à son groupe, et il a dû en arriver à la même conclusion. Mais pourquoi et comment ? »

    Cela était inconcevable. Comment l’auteur de ce livre avait-il pu consigner tout cela quatre siècles avant la supposée découverte de la génétique ? Si tel était bien le cas, alors l’être humain était voué à une redécouverte perpétuelle.

    « Les soupçons sont parfois l’ennemi de la raison. » Serph citait les propos de l’inspecteur Harvey, et exprimait le fil de sa pensée.

    « … D’un autre côté, pourquoi ces informations génétiques seraient-elles un secret national, et en quoi pourraient-elles nuire à la sécurité nationale ? »

    C’était peut-être ce que l’inspecteur Harvey voulait insinuer la veille.

    Certains voulaient dissimuler ces découvertes de l’Histoire et manipuler des connaissances. Cependant, Heat ne percevait aucune menace dans ces illustrations. Peut-être ces caractères comportaient-ils un quelconque risque, ou alors était-ce le moyen d’y parvenir ? Plus encore, la simple réflexion sur ce sujet pouvait-elle provoquer un danger ? Il pouvait tout simplement s’agir d’une exagération sur l’importance des informations dérobées au professeur… ?

    « Cela est forcément lié au projet du professeur, celui d’aller en Alaska. »

    « En Alaska ? » Heat répondit alors, interloqué.

    « Il s’y est rendu quatre fois au cours des six derniers mois. Lorsque je l’ai su, j’ai mené mes propres recherches et j’ai fini par apprendre l’existence d’un centre suspicieux qui pourrait être lié aux Skull & Bones. »

    Serph parlait du High Frequency Active Auroral Research Program, communément appelé HAARP.

    En surface, il ne s’agissait que d’un centre de recherches sur l’utilisation des ionosphères et de leurs effets sur les systèmes de communication, mais d’étranges rumeurs couraient autour d’une conspiration sur l’emploi d’une armée ou d’une manipulation mentale sur des soldats. Le complexe était situé au beau milieu d’une forêt de quatre hectares avec trois cent soixante antennes identiques d’une hauteur de soixante douze pieds, rendant la zone purement inaccessible. La puissance électrique totale de ces antennes correspondait à environ 1,7 milliard de watt. Ces données relevaient du domaine de l’imaginaire pour Heat, mais il savait qu’elles étaient réelles. Si les gens avaient seulement conscience de la puissance des ondes électromagnétiques de leurs téléphones portables, ils s’évanouiraient sûrement.

    « Le professeur s’est rendu dans ce centre ? »

    « Je n’en sais pas plus. » Lui répondit Serph.

    « Peut-être s’y est-il rendu afin de mener des recherches sur les effets des basses fréquences magnétiques sur la génétique ? »

    « C’est-à-dire ? »

    Les champs de basses fréquences magnétiques avaient également des effets sur des ondes magnétiques des organismes vivants. Il avait été démontré que les organismes biomagnétiques étaient composés de leurs propres bactéries, qui correspondraient à cinq million de bactéries par gramme des cellules du cerveau humain. Les êtres vivants semblaient percevoir les directions des ondes magnétiques. Ces ondes magnétiques issues de basses fréquences entrainaient des résonnances sur la terre et les activités des organismes vivants. Ce phénomène était nommé Résonnances Schumann, établissant une similarité de mesure entre les ondes alpha et celles des êtres humains.

    Il était admis que les champs magnétiques à très basses fréquences perturbaient les résonnances, ce qui avait un effet possiblement néfaste sur les êtres vivants : mauvaise sécrétion d’hormones pouvant entrainer des troubles psychologiques, ainsi qu’une mauvaise condition physique due à un manque de calcium et de protéines. Les expériences menées sur les animaux laissaient suggérer qu’en plus de ces troubles s’ajoutait un déclin des défenses immunitaires ainsi qu’à une anomalie génétique.

    « On ignore quels genres d’ondes électromagnétiques émanent de ces installations, mais de nombreuses rumeurs courent. Si ces ondes proviennent d’expériences sur la communication et l’observation des aurores boréales, cela a dû éveiller la curiosité du professeur Harris. »

    En d’autres termes, ce manuscrit ne pouvait être lié aux activités de la HAARP. Ou bien n’était-ce qu’un sujet de recherches des médecins ? Le manuscrit dégageait certes un style romanesque, mais on ne pouvait le relier à une logique scientifique.

    Heat et Serph étaient eux-mêmes étudiants et ne pouvaient aller à l’encontre de la raison. Du moins, Heat espérait qu’il en était de même pour Serph.

    « C’est très intéressant. Je suis content que tu sois venu. »

    « Ah bon ? C’est toi qui crois à cette théorie, pas moi. »

    « Ce n’est pas ce que je veux dire. Grâce à ton savoir, nous pouvons nous raccrocher à des faits solides. Je pense que cette affaire en Alaska ainsi que le disque volé sont tous les deux liés. »

    Heat sentit une irritation monter en lui en voyant ainsi Serph se jouer de lui, mais Serph en avait pris conscience, et mesura alors ses propos.

    « Le professeur n’a pas divulgué ces documents à l’école. »

    « Qu’est-ce qui te fait dire ça ? »

    « Selon sa secrétaire, le professeur Harris aurait affirmé qu’il partait pêcher, mais sa femme prétend qu’il serait parti pour affaires. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est certainement pas parti pour se détendre. »

    « Attends un peu. Comment en sais-tu autant sur le professeur ? »

     Le sujet autour du manuscrit ainsi que l’affaire entourant le professeur était bien trop étrange. Serph avait cette façon de parler, comme s’il connaissait en détail le professeur Harris, et cela ne se limitait pas à celui-ci. Heat songea à toutes ces occasions bien trop manquées de le questionner. Dès le moment où il l’avait rencontré, tout lui semblait curieux. Comment pouvait-il connaître les agissements de Heat le jour-même de l’incident ? Serph était très intelligent, alors pour quelle raison s’était-il ainsi impliqué en délivrant un témoignage ambigu ? Pourquoi donc se jouait-il des autres par sa force de persuasion ?

    Heat sentit sa pression sanguine monter et son cœur s’enflammer.

    « Serph, tu n’aurais pas… »

    « Souviens-toi de ce que tu m’as dit, Heat », Serph l’avait-il alors coupé.

    Il se tourna vers Heat avec une expression aussi vide qu’un mannequin. Il glissa alors sa main droite délicatement vers la poche poitrine de son blouson.

    « Tu m’as promis de me suivre coûte que coûte. Ne reviens pas sur ta parole. »

    « Qu’est-ce que tu t’apprêtes à faire avec ta main ? Qu’est-ce que tu caches dans ta poche ? »

    Même si ce n’était pas une arme à feu, Serph pouvait dissimuler une arme blanche. La porte de sortie se trouvait derrière Heat, mais il ne pourrait sortir à temps, et Serph risquerait de l’atteindre bien avant.

    « Que fais-tu, Heat ? » Celui-ci sentit son dos pris de sueurs froides. Serph était impassible. Toutes ces histoires de Skull & Bones, de manuscrit indéchiffrable, d’expérience sur la défense nationale bouleversaient Heat à lui en donner la migraine. Il avait l’impression de vivre un véritable drama rempli de suspens digne d’une série B de science fiction.

    Si Serph avait bien tué le professeur, et qu’il s’était emparé du disque dur avant de s’enfuir, aurait-il falsifié un témoignage à partir des circonstances de son propre meurtre ? Il se serait alors servi de son modus operandi comme s’il résultait d’un processus de déduction de sa part pour mieux brouiller les pistes. Peut-être la visite de Heat dans le bureau du professeur avait-elle bousculé ses plans ? Cela pouvait expliquer ce scénario fou où il avait senti le besoin d’approcher Heat lors de son interrogatoire.

    En outre, Serph n’avait sans doute pas prévu d’apparaître devant la police. Le témoignage flou qu’il avait délivré n’aurait servi qu’à l’impliquer dans l’affaire… Ou alors était-il simplement fou. La vie universitaire pouvait repousser le plus sain des individus dans ses plus sombres retranchements, surtout à seize ans, soit en pleine adolescence. Des personnes étaient déclarées mentalement instables tous les ans. Peut-être Serph était en proie à une mégalomanie qui le poussait à chercher un individu susceptible d’adopter sa propre vision du monde ?

    Heat saurait alors pourquoi il s’était retrouvé impliqué avec Serph sans en dire un mot à quiconque.

    De plus, Serph lui avait bien rappelé la veille au campus :

    « Tant que tu resteras de mon côté, tout ira bien. »

    Et Heat s’était décidé malgré lui.

    « Oui. Je suivrai le même chemin que le tien. »

    Heat avait prononcé ces mots une nouvelle fois avec défiance en tendant ses bras, les mains en avant. S’il devait subir une attaque de la part de Serph, il valait mieux que sa main soit touchée plutôt que ses deux bras. Il survivrait à la blessure tant qu’une artère ne serait pas touchée. Ou du moins, il tentait de s’en assurer.

    Même s’il était face à un tueur manipulateur et psychopathe, cela valait mieux que de laisser un confident détourné du droit chemin, peu importait s’il était fou à lier. Heat était dans une confusion telle qu’il ne savait plus quoi penser à ce stade.

    Un visage qui ne laissait transparaître aucune pensée, aucune émotion. Après s’être éclairci la gorge, Serph sortit de la poche de son blouson un objet pour le moins inapproprié avant de le poser sur la table, à côté du manuscrit. Il s’agissait d’un objet électrique blanc dont la taille ne dépassait pas une carte bancaire.

     

    CHAPITRE 10

    « Bordel Serph, pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ?! » Avait crié Heat, roulant à toute vitesse sur son vélo, à Serph qui se tenait derrière lui.

    « Parce que tu ne t’es pas excusé. Tu es du genre persistant tu sais. »

     Depuis qu’ils avaient quitté la bibliothèque, les deux ne cessaient de se quereller. Heat pédalait à grande vitesse vers l’ouest de la ville nocturne de New Haven en passant entre les voitures qui attendaient au feu rouge et en esquivant les étudiants qui passaient sur les chemins piétons. Les livres rares de chez Beinecke et la bibliothèque d’archives ne s’étendaient qu’à 2,4 kilomètres du Cross Campus près d’Edgewood Park, mais la distance causait une certaine irritation.

    Heat entendait les klaxons résonner des voitures sur la route. Serph peinait à garder son équilibre derrière Heat qui accélérait sur la voie piétonne.

    « Tu devrais te faire arrêter pour danger public. »

    « La ferme, lui rétorqua-t-il. Tu peux parler, criminel. »

    L’objet que lui avait montré Serph plus tôt était un appareil de mise sur écoute. Aussi incroyable que cela pouvait paraître, Serph avait mis le professeur Harris sur écoute bien avant l’incident. Il faisait des recherches sur les critères de recrutement au sein des Skull & Bones. Il semblait le confronter avec ses notes et son statut de scout, mais le professeur se mit sur la défensive lorsque Serph tenta d’en savoir plus en attirant son attention. Les Bonesmen maintenaient leurs relations même après l’obtention de leurs diplômes. Serph pensait obtenir des informations sur ceux-ci en se rapprochant du professeur. En effet, il avait découvert son appartenance au Bones via une fuite des médias qui avait divulgué une liste des membres dans laquelle se trouvait le nom du professeur lorsqu’il était lui-même étudiant à Yale. Serph avait réussi à déposer un micro caché dans le bureau du secrétaire en postulant comme livreur au sein du centre médical.

    Le soir de l’incident, Serph était à la recherche du professeur dans la bibliothèque Cushing Whitney qui se trouvait de l’autre côté de son bureau. Serph était au courant pour Heat, et pour couronner le tout, il avait écouté son interrogatoire, savait qu’il s’était porté volontaire en pédiatrie la veille et qu’il était rentré chez lui plus tôt. Serph était apparu ce jour-là afin de collecter le micro avant les équipes médicolégales. Comme il ignorait totalement l’assassinat du professeur, Serph n’avait pas pris soin d’effacer ses empreintes en reprenant le micro.

    Depuis que des avions de ligne avaient heurté les deux tours du World Trade Center le 11 septembre 2001, mêmes les vols continentaux exigeaient des empreintes digitales des passagers. Celles de Serph avaient été certainement enregistrées lors de son trajet de la Cote Est de Portland jusqu’à New Heaven. Si ce micro était découvert, les soupçons se porteraient sur Serph et même s’il venait à prouver qu’il n’était pas le tueur, l’existence même du micro constituait un crime.

    Par ailleurs, cette découverte entraînerait une expulsion scolaire totale, et cet acte resterait à jamais inscrit dans son dossier sans jamais pouvoir y échapper, c’est pourquoi il se devait de récupérer l’appareil à tout prix. Il était passé d’un étudiant honorable à un étudiant suspect et avait pu mener son enquête à bien. Serph assura alors à Heat, la bouche ouverte de stupéfaction, que son intention de lui venir en aide n’était pas factice.

    Serph savait mieux que quiconque qu’Heat voulait sauver le professeur. Heat quant à lui ne pouvait croire ce qu’il entendait.

    Si l’objectif de Serph n’avait été que de récupérer le micro, il se serait contenté de venir en aide à Heat qu’une seule fois ce soir-là. Il n’avait pas besoin de prendre sa défense avec une telle ferveur, et c’est pour cela que Heat avait pris la décision de lui faire confiance, mais ce qu’il était sur le point d’apprendre allait être assourdissant. Serph lui fit alors le récit complet des évènements auxquels il avait été témoin.

    Ce soir-là, Serph faisait mine de lire un livre à la bibliothèque tout en écoutant la conversation à travers le micro. Il avait compris qu’une personne était entrée dans le bureau du professeur Harris. Quelqu’un avait frappé à la porte suivit d’un murmure du professeur trahissant sa surprise et son questionnement. Il avait ensuite invité la personne dans son bureau, mais le micro ne permettait pas d’entendre la conversation à l’intérieur de la pièce, celui-ci étant placé dans le bureau du secrétaire.

    Serph avait donc renoncé au micro, et avait décidé d’espionner depuis la fenêtre donnant sur la pièce, drapée de fins tissus lui permettant ainsi d’écouter facilement. Le visiteur en question était une femme répondant au nom de Stella Parker qui était également une connaissance de Serph. Agée de vingt-cinq ans, elle était en troisième année de doctorat de médecine. Une salle lui avait même été attribuée dans le même étage où se trouvait le bureau du professeur Harris. Serph avait croisé son chemin plusieurs fois pendant ses livraisons.

    La tension semblait monter entre Stella et le professeur qui se trouvaient près de la table d’assistance. Un moment passa, puis Stella se mit à pleurer avant de se saisir d’un instrument médical et menaça le professeur Harris de se trancher la carotide. La suite des évènements correspondaient aux « déductions » de Serph, l’inspecteur Harvey ainsi que du policier général adjoint. En effet, Heat comprit qu’il n’y avait évidemment pas d’autre témoin que Serph ce soir-là. Le criminel n’avait pas pu s’échapper du centre médical. Lorsque Heat avait monté les escaliers, Stella était alors en train de s’échapper vers son bureau en retenant son souffle.

    Ainsi, Serph était véritablement le seul à avoir assisté à tous les évènements. S’il avait témoigné en révélant toute la vérité, Heat aurait été épargné de bien des malheurs, mais en contrepartie, jamais Serph n’aurait pu récupérer le micro dérobé. C’était aussi la raison pour laquelle Serph avait joué le rôle du détective tout en incriminant Stella. Il avait visité l’appartement de la jeune femme la veille. Connaissant son nom et son visage, la retrouver avait donc été un jeu d’enfant.

    Face à toutes ces révélations, Heat s’était empressé de retrouver Stella Parker. Révéler la culpabilité de Stella pouvait prouver son innocence, mais Heat hésitait à la dénoncer à la police, d’autant plus que d’après les dires de Serph, cette femme n’avait pas eu d’intentions criminelles. Heat sentait sa colère prendre le pas en apprenant qu’elle avait pris la fuite, toutefois, il préférait penser qu’elle devait expier ses crimes. À l’époque, Heat avait tué sa sœur et pourtant, sa mère avait su le pardonner.

    Par conséquent, Heat appuya violemment sur la pédale en jurant à l’égard de Serph. Avant leur arrivée chez Stella, Heat avait déversé toute sa colère en énergie motrice. Le visage empourpré et ses dents exposées inspiraient une certaines peur aux passants, les conseils de Serph sur les affaires d’autrui ayant provoqué en lui un torrent de flammes inextinguible.

    En fin de compte, cette querelle était peut-être une bonne chose, Heat en ressentait même une sorte d’apaisement. Non seulement les soupçons qui pesaient sur lui pouvaient être levés, mais Serph n’avait pas commis de crimes impardonnables. Il ne supportait pas sa nonchalance et son côté intrusif, mais cela était largement préférable à un meurtre.

    Paradoxalement, la culpabilité de Serph prouvait l’innocence de Heat. Il se dit même qu’il devrait le remercier directement.

    « Nous sommes presque arrivés. Tourne à droite. »

    Edgewood Park était visible par-dessus leurs épaules, et Heat s’engagea alors sur sa droite dans une ruelle remplie d’arbres.

     

    CHAPITRE 11

    L’appartement de Stella Parker se trouvait au troisième étage d’un vieil immeuble qui en faisait quatre. Heat tenta de frapper à sa porte mais n’obtint aucune réponse. Était-elle absente ?

    « Peux-tu attendre dehors un instant ? » Au moment où Serph prononça ces mots, les compères entendirent de l’intérieur un miaulement d’un chat suivit d’un bruit de grattement derrière la porte, et s’échangèrent alors un regard. Le chat voulait sûrement sortir de l’appartement, les bruits de grattement étant incessants. Comme attiré par le son, Heat saisit la poignée, et essaya de la tourner avant de comprendre que la porte n’était en réalité pas fermée à clé. En effet, la porte était légèrement entrouverte, suffisamment pour laisser entrevoir l’intérieur éclairé par une faible lumière d’une lampe de bureau. Ils virent alors le chat noir disparaître vers la partie droite de la chambre, mais Heat réussit à percevoir une de ses oreilles de couleur argent cendré.

    Peut-être était-il attiré par le doux son similaire au murmure d’une rivière ? Un parfum sucré flottait également dans l’air, comme une senteur de fruitier.

    Le soir de l’incident, Heat avait senti ce même parfum dans le couloir alors envahi par la foule. Heat se souvint alors d’une femme blonde à la silhouette fine au fond de ce couloir. Il s’était demandé d’où pouvait venir ce parfum, et comprit enfin sa provenance. Lorsqu’il avait découvert le professeur dans son bureau, cette même odeur enveloppait la pièce. Heat cessa alors ces réminiscences et entra dans l’appartement.

    La pièce était assez étroite avec un lit simple. Au fur et à mesure qu’il pénétrait la pièce, Heat comprit qu’elle était inoccupée. Il se dirigea alors vers la partie gauche où se trouvait la cuisine, à droite la chambre à coucher puis la salle de bain. Les meubles étaient ordonnés d’une façon à servir une quelconque utilité. Ils manquaient de cette touche féminine mais correspondaient tout à fait à l’ambiance posée de la pièce ainsi qu’à tout le reste de l’immeuble. Un ordinateur portable posé sur le bureau contrastait à cette ambiance.

    « Tu n’entends pas comme le bruit de l’eau ? » Lui avait demandé Serph derrière lui, de l’autre côté de la pièce. Effectivement, Heat avait entendu ce bruit depuis qu’il était entré dans l’appartement.

    Il ferma les yeux et répondit d’une voix rauque.

    « Cherche son téléphone. »

    Heat marcha en direction de la chambre à coucher sur sa droite, en passant une main près d’un porte manteau sur lequel était accroché une écharpe ou un pashmina. Il n’y avait rien d’autre qui pouvait servir de substitut pour une corde. Il s’échappait de l’écharpe un parfum particulièrement prononcé.

    En entrant dans la chambre, Heat vit l’opercule d’un flacon de médicament en plastique rouler sur le sol. Des tablettes de comprimés oblongs bleus jonchaient le sol. Heat reconnu le type de médicament rien qu’en voyant sa couleur. Il s’agissait du Triazolam, plus communément appelé Halcion. Heat entendit l’eau couler qui provenait sûrement d’une baignoire car l’arrière de la chambre donnait sur la salle de bain. La porte légèrement entrebâillée laissait apercevoir une bouteille de vodka vide ainsi que des pieds de femme. Il distinguait l’eau teintée de rouge, à la manière d’une rose.

    Heat tourna les talons afin de rejoindre Serph. Il prononça alors les mêmes paroles que la veille.

    « Appelle une ambulance. »

     

    CHAPITRE 12

    Transpirant de sueur, Heat était assis sur les escaliers de l’entrée de l’appartement, à regarder Stella être emmenée sur un brancard par les ambulanciers. Plusieurs urgentistes ainsi que des policiers s’étaient garés sur la place. Tous s’étaient rassemblés, leur présence projetant des ombres bleues tremblantes sur les murs de la bâtisse tel un troupeau de cadavres réunis jusqu’à lui.

    Serph portait un t-shirt blanc et se trouvait avec l’inspecteur Harvey ainsi qu’avec le policier adjoint près d’une berline noire. Leurs regards se tournaient à l’occasion vers Heat qui portait le blouson de Serph sur ses épaules. On pouvait encore apprécier la chaleur de l’été en journée, mais une fois la nuit tombée, la brise d’automne commençait déjà à se faire sentir. Serph avait remis le disque dur à l’inspecteur. Que contenait-il réellement ? Serph le savait-il ? Heat repensa alors aux documents attestant une pratique d’avortement qu’il avait trouvé sur la table de chevet de Stella. Il avait confirmé la signature de la mère, sans y trouver celle du père.

    Stella Parker était donc enceinte. Et plus encore, cette conception avait entraîné la mort de quelqu’un d’autre. L’avenir de cette femme et de son enfant était incertain. Stella avait tué le père de cet enfant qu’elle portait avant d’essayer de se donner la mort en consommant une quantité mortelle d’endorphine ainsi qu’une grande quantité d’alcool, avant de se sectionner les artères du poignet. Heat voyait encore le sang s’écouler de sa couleur rubis.

    La gravité des blessures en disait long sur la détresse qui habitait Stella. Peut-être avait-elle fui après le meurtre car elle pensait à son enfant ? Il n’y avait plus aucun moyen de le savoir désormais.

    Démuni, Heat ne pouvait se remémorer les évènements survenus à l’instant, mais se dit qu’il avait fait tout son possible. Il se blâmait lui-même par de paroles futiles et autres grossièretés. Au final, il ne pouvait que prier à un dieu ou à un diable.

    Et si cet enfant, dans le ventre de sa mère, avait-il eu conscience qu’il n’était pas désiré ? Une vie était pourtant une vie. Devait-elle être jugée équitablement ? Pouvait-on seulement le considérer ? Heat eut alors l’impression de s’être complètement fourvoyé depuis le début. Perdu, il s’appuyait contre le béton froid de l’immeuble.

    … Et entendit un chat miauler.

     

    CHAPITRE 13

    Heat et Serph descendaient les marches du sous-sol de « la Tombe ». Ils menaient un groupe composé de treize étudiants. Tous sans exception étaient issus de grandes familles ou avaient de grandes capacités intellectuelles.

    Une année s’était écoulée. Heat et Serph étaient désormais eux aussi âgés d’un an de plus et avaient tous deux décidé d’aller en école de médecine afin d’obtenir leur diplôme. Bien qu’âgés de 19 et 17 ans, ils avaient complété leur cursus universitaire.

    Stella Parker s’était accrochée à la vie. Malheureusement, son enfant n’avait pas pu être sauvé. Heat l’avait appris dans sa lettre écrite depuis sa cellule de détention.

    Dans cette lettre, Heat et Serph pouvaient y lire toute la reconnaissance de la jeune femme envers eux ainsi que toute sa culpabilité à travers une écriture consciencieuse qui témoignait son honnêteté. Stella avait également partagé son désir de devenir une bonne mère le jour où elle aurait purgé sa peine. Heat s’était emparé de son stylo à maintes reprises afin de lui répondre sans jamais y trouver le courage. Il se devait de faire face à la vie, et se jura de lui répondre un jour, tout en étant capable de formuler clairement et dignement ses pensées.

    Heat et Serph entretenaient toujours les mêmes relations et comme ils se l’étaient promis, les deux marchaient désormais sur le même chemin. Ils participaient au rituel des Skull & Bones afin d’en devenir membres. Heat avait cessé de chercher le contenu du disque dur, car Serph lui-même l’ignorait.

    En revanche, ils avaient tous deux compris une chose : Il n’y avait pas d’inspecteur répondant au nom d’Allen Harvey au F.B.I. Allen Harvey avait bel et bien existé, mais avait trouvé la mort pendant son service plusieurs dizaines d’années auparavant. Serph avait pu obtenir cette information auprès du quarter général du F.B.I. C’était la seule et unique réponse qui lui avait été octroyée.

    Accompagnés d’une quinzaine de nouveaux membres en arrivant dans le hall au sous-sol, ils firent la rencontre de dizaines de membres en costumes blancs et cravates noires, l’un d’eux les accueillit de ses yeux rétrécis. Heat se tourna alors vers Serph en rang près de lui, se demandant s’il avait relevé ces détails. Serph quant à lui fixait inlassablement le sol sur lequel était dessiné un soleil au centre de la pièce et qui semblait évoquer une forme géométrique ou astrologique.

    Serph surprit alors le regard de Heat, lui sourit du coin des lèvres et concentra à nouveau son regard sur le soleil avant de murmurer :

    « Dieu… »

     

    FIN

     

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